Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE BLANCHARD, No. 3.
Si l’intrépidité et le courage sont les caractères moraux qui distinguent les aigles des autres oiseaux de proie, sans contredit celui dont il est question ici est autant un aigle que celui dont nous avons parlé sous le nom de griffard; car il est le tyran de tous les grands oiseaux qui habitent ses états; c’est un vrai despote, qui, abusant de ses moyens, fait la guerre à tout ce qui l’environne, et immole tout ce qui l’approche. Destiné à faire la chasse au peuple aîlé, la nature l’a doué d’une grande aisance dans son vol; une très-longue queue lui sert admirablement bien pour se diriger avec agilité, et parer aux reviremens fréquens et prompts qu’emploient les oiseaux qui cherchent à éviter ses cruelles serres; écarts brusques, qui, presque toujours, les font échapper à tout autre oiseau de rapine, mais qui deviennent inutiles avec celui dont nous parlons.
C’est à la poursuite des ramiers que l’on peut admirer l’adresse du Blanchard; il semble même de préférence chasser ces oiseaux, dont le vol est le plus rapide et le plus varié; et c’est sur-tout de l’espèce que j’ai décrite sous le nom de ramron dont il fait sa proie ordinaire. J’ai vu des faucons, des autours, des éperviers, des hobereaux, etc., poursuivre nos ramiers en Europe; mais je les ai peu vu réussir dans cette chasse, même en se jetant dans des volées entières de ces oiseaux. Leurs moyens étoient, à la vérité, différens de ceux qu’emploie le Blanchard avec tant de succès. Les oiseaux de haut vol poursuivent à tire d’aîle leur proie, et cherchent à l’aborder, soit par dessus, soit de côté, afin de s’en saisir; celui-ci, au contraire, mesure son vol, se domine et ne donne rien au hasard. Le ramron, comme on peut le voir dans sa description, s’élève au-dessus des grands arbres, et semble s’amuser d’une singulière manière de voler qui n’appartient qu’à lui: c’est alors que le Blanchard part de l’endroit où il étoit en embuscade; et s’il peut arriver sous le ramron avant que celui-ci ait eu le tems de se précipiter dans le bois, pour se cacher dans les broussailles, c’en est fait de lui: tous ses détours, tous ses mouvemens brusques et réitérés lui deviennent inutiles; son ennemi pare à tout, et semble chercher plutôt à le lasser qu’à le poursuivre. Toujours au-dessous de lui, son unique soin est de l’empêcher de gagner les arbres; et plutôt le ramron s’y précipite, plutôt il est pris; parce que le Blanchard, parcourant pendant le même tems la ligne la plus courte, se trouve toujours au passage, et saisit sa proie au moment où souvent elle croit lui échapper. Ce n’est que lorsque le ramron est forcé de gagner la plaine, que le Blanchard vole droit sur lui, et le prend en un instant, parce qu’alors il est déja très-fatigué; mais il est fort rare qu’il ose quitter le bois, vu que son unique ressource est d’arriver dans le plus épais des arbres, où les mouvemens du Blanchard se trouvant gênés, il peut espérer d’échapper à la mort.
Le Blanchard plume sa proie avant de la déchirer, et c’est toujours perché sur les branches basses d’un gros arbre, qu’il la dévore, ou sur le tronc d’un arbre renversé, ou sur un rocher, enfin sur un endroit élevé, mais jamais à terre.
Le Blanchard ne fréquente que les forêts; il se tient de préférence dans les endroits où se trouvent les plus grands arbres, et où il y en a le moins; parce que, découvrant mieux tout ce qui lui paroît propre à faire sa nourriture, c’est de-là que, tapi derrière une grosse branche, il guette les ramrons et les perdrix de bois, qu’il saisit en se précipitant avec bruit de dessus l’arbre sur la troupe. Il se nourrit aussi d’une très-petite espèce de gazelle, qui ne se trouve que dans les forêts; j’en ai parlé dans mes voyages sous son nom hottentot de nometjes.
J’ai eu long-tems le plaisir d’observer un couple de Blanchards, mâle et femelle, qui étoit établi près de mon camp dans les bois du charmant et délicieux pays d’Auteniquoi. Je les ai examinés pendant plus de trois semaines avant de les tuer. Assis au pied d’un arbre, je passois des matinées entières à observer tous leurs mouvemens et toutes leurs ruses. Comme, dans ce tems, ils étoient occupés à couver, et que jamais le nid n’étoit vaquant, je me voyois sûr de les retrouver chaque jour dans les mêmes lieux. Quand l’un d’eux s’étoit saisi d’une proie quelconque, tous les corbeaux des environs accouroient par troupes innombrables, criant autour de lui, et cherchant à avoir leur part du butin; mais l’aigle paroissoit mépriser ces oiseaux piaillards, qui, n’osant approcher de trop près, se contentoient de se jeter sur les débris qui tomboient de l’arbre où le Blanchard dévoroit paisiblement sa proie. Quand il se présentoit dans l’arrondissement un oiseau de rapine quelconque, le Blanchard mâle le poursuivoit à toute outrance jusqu’à ce qu’il fut hors de son domaine. Les plus petits oiseaux pouvoient tous impunément s’approcher jusque sur le nid même de cet aigle, qui ne leur faisoit aucun mal; ils étoient même là en sûreté contre les attaques des oiseaux de proie d’un ordre inférieur.
Les aîles du Blanchard ne paroissent point être d’une envergure aussi considérable que celles des autres aigles; parce que, ne s’étendant que jusqu’à la moitié de la longueur de la queue, elles semblent être plus courtes, proportionnellement à cette queue, qui est fort longue; mais si l’on considère le volume de son corps, on trouve son envergure assez grande.
Le Blanchard a le corps moins gros que nos aigles; il est plus allongé et plus svelte de taille; enfin, comme il convenoit qu’il fut construit pour la chasse aux oiseaux. Il est, en un mot, à nos aigles ce que sont les lévriers aux dogues.
Le Blanchard est caractérisé par une espèce de huppe qui prend naissance derrière l’occiput; mais elle est beaucoup moins apparente que dans l’espèce précédente. On l’apperçoit très-peu dans la femelle: celle-ci est d’un tiers plus forte que le mâle; sa couleur est généralement plus lavée de brun fauve, sur le manteau et les couvertures des aîles; tous deux sont gantés; c’est-à-dire, qu’ils ont des plumes sur les doigts. La queue est rayée transversalement de noir et de blanc; les grandes pennes sont brunâtres dans leurs barbes extérieures, et rayées dans toute la partie qui est couverte quand l’aîle est ployée. L’iris et les doigts sont d’un beau jaune; les griffes, qui sont très-fortes, ont une couleur plombée, ainsi que le bec.
Toutes les plumes du Blanchard sont blanches, flambées de noir-brun sur le manteau; elles sont douces au toucher, et non rudes, comme celles des aigles en général. Son ramage est formé de plusieurs sons aigus répétés précipitamment, et qu’on peut rendre par cri-qui-qui-qui-qui. Lorsqu’il est perché et repu, on l’entend pendant des heures entières répéter ces mêmes accens, qui paroissent assez foibles pour un oiseau dont la taille égale, à un tiers près, celle du griffard. Le Blanchard bâtit son aire sur le sommet des grands arbres. Le mâle couve tour à tour avec sa femelle. Je n’ai trouvé que deux œufs dans le seul nid de Blanchard que j’aie vu: ils étoient blancs et de la grosseur de ceux d’une dinde, mais d’une forme plus ronde.
Quand, obligé de quitter mon camp, je me décidai à tuer le mâle et la femelle, les petits étoient déja couverts entièrement d’un duvet blanc fauve. J’ai essayé d’élever ces deux aiglons; mais mes chiens les tuèrent avant qu’ils ne fussent couverts de toutes leurs plumes. A juger par celles qu’ils avoient déja, la première livrée du Blanchard approche beaucoup de celle de l’âge fait; à l’exception que le brun est plus lavé et que toutes les couvertures des aîles sont bordées de roussâtre. En général, j’ai remarqué dans beaucoup de jeunes oiseaux de proie, que la couleur fauve ou rousse borde toujours plus ou moins les plumes de tout le manteau. Je n’ai jamais rencontré le Blanchard que dans le pays d’Auteniquoi.