Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE MONTAGNARD, No. 35.
Si la manie de rapporter les oiseaux étrangers à ceux de nos climats fait envisager celui dont il est question comme n’étant que la cresserelle d’Europe, un peu variée par l’influence d’un climat plus chaud, je dirai que c’est une faute à ajouter à toutes celles qui n’ont été commises que par cette même manie des réductions, qui a déja fait commettre tant d’erreurs grossières à l’un de nos plus grands écrivains.
Je me contenterai d’indiquer les différences que j’ai remarquées entre cet oiseau africain et notre cresserelle: différences qui me semblent assez considérables pour convaincre de méprise ceux qui seroient tentés de regarder ces deux oiseaux comme ne formant qu’une seule et même espèce.
Le Montagnard est très-commun dans toute la Colonie du Cap de Bonne-Espérance, où les habitans lui donnent le nom de Rooye-valk (faucon rouge), ou Steen-valk (faucon de pierres). Il se trouve presque dans toute la partie de l’Afrique où j’ai voyagé; il fréquente les montagnes, particulièrement celles qui sont les plus couvertes de rochers; il y vit toute l’année, et ne quitte guère le canton qui l’a vu naître. Tous les petits quadrupèdes, les lésards et les insectes qui pullulent parmi les rochers deviennent sa proie. C’est aussi parmi les roches les plus escarpées qu’il pose son nid à plat sans être abrité du haut. Ce nid, composé de brins de bois et d’herbes, est assez négligemment fait; on y trouve communément six, sept et même jusqu’à huit œufs entièrement du même roux foncé que son plumage.
Cet oiseau, que j’ai nommé Montagnard, par rapport au lieu qu’il habite préférablement à tout autre, a le cri aigre et perçant; il fait entendre son ramage, que l’on peut rendre par cri-cri-cri—cri-cri-cri—cri-cri-cri, répété précipitamment et d’une manière très-remarquable, toutes les fois qu’un homme ou qu’un animal quelconque approche de l’endroit où il se tient habituellement. Quand ils ont des œufs ou des petits, ils sont très-hardis et poursuivent à outrance tout ce qui approche des environs du nid.
Le Montagnard est un peu plus fort de taille que notre cresserelle d’Europe; sa queue n’est point aussi étagée que la sienne, et ses aîles ne s’étendent pas plus loin que le milieu de la queue; tandis que dans la cresserelle elles passent au-delà de son extrémité. La cresserelle mâle a la tête bleuâtre, et sa queue est de cette même couleur, terminée de blanc et d’une large bande noire; on ne trouve point cette couleur ni sur la tête ni sur la queue du Montagnard du Cap. La femelle de notre cresserelle a ces mêmes parties roussâtres, et ressemble par-là davantage à notre oiseau africain; mais elle a la queue rayée de beaucoup de petites bandes peu séparées les unes des autres, et le bout de sa queue est d’un blanc roussâtre, et se termine en dessus, comme celle du mâle, par une large barre noire. La queue du Montagnard est entièrement d’un roux clair, traversée seulement de quelques larges bandes brunâtres; elle n’est point barrée de noir et n’est pas non plus terminée de blanc ou d’un blanc roussâtre. Le reste de la couleur du Montagnard se rapporte assez à celle de la cresserelle; cependant en comparant les portraits de ces oiseaux, on y trouvera encore assez de différence pour ne pas les confondre[19].
Je remarquerai en passant que la cresserelle se trouve également en Espagne et en Pologne: or, dans ces climats si différens elle n’a point varié; ainsi il n’est pas présumable qu’elle ait subi au Cap une telle variation; d’autant plus que la température du Cap approche de celle d’Espagne.
Le Montagnard a les ongles et le bec noirs, la base du bec et les pieds jaunes, la gorge blanchâtre, les joues et le derrière de la tête d’un léger roussâtre, nué de brun; tout le manteau est d’un roux foncé, sur lequel sont répandues des taches noires d’une forme triangulaire. La queue, d’un roux clair, porte des bandes brunes; le ventre et les jambes sont d’un gris-brun, avec une ligne noirâtre le long de chaque plume. La poitrine et les flancs, dont la couleur est d’un roux moins foncé que le dos, sont parsemés de taches longitudinales. Les pennes de l’aîle sont noires dans toute la partie visible, quand l’aîle est pliée; en dessous, elles sont rayées de blanc, et toutes les petites couvertures du dessous de l’aîle sont tachetées de noirâtre, sur un fond blanc plus ou moins sali de roux.
La femelle est un peu plus forte que le mâle; son roux est moins foncé et les taches noires du manteau sont moins nombreuses.