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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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L’ENGOULEVENT A COLLIER, No. 49.

On remarque dans cette petite espèce d’Engoulevent africain plusieurs des principaux caractères de celui de l’article précédent, même forme de tête et de bec, de grands yeux, la bouche fort ample et le bout du bec très-petit; voilà quels sont les caractères d’analogie. Voici maintenant ceux qui les différencient: dans la petite espèce, la bouche ne ferme point aussi hermétiquement; la queue est coupée carrément au lieu d’être fourchue; les mandibules sont bordées de très-longs poils roides et plats, qui, étant dirigés en avant, garnissent et ferment l’ouverture de la bouche par les côtés; de sorte que quand l’oiseau l’ouvre pour se saisir de sa proie en volant, ces poils empêchent les insectes de s’échapper par les côtés, une fois qu’ils sont engagés dans la grande ouverture que présente cette bouche lorsqu’elle est béante. Les aîles ne s’étendent qu’aux trois quarts de la longueur de la queue, et les tarses sont aussi beaucoup plus longs.

L’Engoulevent à collier est à peu près de la taille de notre engoulevent d’Europe. Il est distingué par un large collier blanc qui couvre sa gorge, et ce collier s’étend en s’élargissant sur les côtés, où il prend une belle couleur orangée, variée de noir; un trait blanc qui part du coin du dessous de l’œil, se prolonge jusque sur le collier. Les premières pennes de l’aîle portent chacune une petite tache blanche vers leur milieu; celles de la queue sont également tachetées de blanc; mais ces taches sont beaucoup plus grandes principalement sur les premières pennes latérales. Tout le plumage est agréablement varié de brun, de noir et de blanc, sur un fond plus ou moins grisâtre. La femelle diffère du mâle d’abord par la taille, car elle est un peu plus petite; son collier est d’un blanc roussâtre, et elle n’a point ces plumes orangées que porte le mâle au bas de son collier; les taches du bout de la queue sont chez elle absolument salies de roux au lieu d’être blanches. Les yeux sont bruns chez tous les deux.

C’est en septembre que ces oiseaux entrent en amour. Pendant ce tems le mâle chante d’une manière très-particulière, et d’une voix si forte que lorsque j’avois le malheur d’être campé dans le voisinage de la demeure d’un de ces oiseaux, il m’étoit impossible de dormir. C’est principalement une heure après que le soleil est couché, et quelques heures avant son lever, qu’ils commencent à se faire entendre; et dans les belles nuits ils chantent sans discontinuer jusqu’au point du jour. J’ai essayé nombre de fois de noter ce ramage, mais il m’étoit plus facile d’en contrefaire quelques passages que de l’exprimer par l’écriture; cependant à force de le recommencer et d’en avoir séparément répété ses différentes phrases, je crois l’avoir saisi autant bien qu’il soit possible de le faire. Je transcris ici d’après mon journal, celui qui m’a paru le plus approcher de la vérité: Cra-cra, ga, gha-gha-gha; harouï, houï, houï-houï; glio-ghô, ghorôo-ghorôo; ga, ha-gach; hara-ga-gach, ah-hag, ha-hag, harioo-go-goch, ghoïo-goïo-goïo. J’ai observé que les finales en ghorôo étoient toujours chantées d’un ton plaintif très-bas, et sembloient absolument partir de la gorge, tandis qu’au contraire celles en a, et sur-tout les terminaisons en ach, avoient un éclat inconcevable, et montoient successivement chacune de quelques tons plus haut que celle qui la précédoit. La mesure du nombre de ces finales en ach, étoit subordonnée, à ce qu’il paroît, au besoin qu’avoit l’oiseau de reprendre haleine; car lorsqu’il s’étoit dominé dès le commencement de la phrase, il en exprimoit quatorze de suite, dont le dernier montoit au moins de quatre octaves plus haut que le premier, et de là retombant tout à coup en ghorôo d’un ton vraiment mélodieux, la phrase se terminoit en goïo-goïo. Les sons harouï, houï-houï, étoient remarquables par une sorte de chevrottement qui les accompagnoit toujours, et qui n’étoit dû qu’aux battemens d’aîles qui très-certainement les accompagnoient.

S’il étoit possible d’apprécier le langage des oiseaux d’après les tons plus ou moins expressifs qu’ils donnent aux différens sons qu’ils font entendre, j’oserois assurer que c’est par cette phrase harouï, houuï-houuï, que celui-ci exprime à sa compagne les sentimens tendres qu’elle lui inspire. Du moins, dans les momens de silence qui séparoient les phrases entières du chant, je n’entendois plus que ces mêmes accens entremêlés d’un certain frémissement d’aise qui sembloit annoncer l’instant du plaisir et précéder celui de la jouissance.

Cet oiseau chante pendant l’espace de trois mois à peu près. La saison des amours passée, on ne l’entend plus, et il ne conserve le reste de l’année qu’un cri très-analogue à celui de notre engoulevent. Comme lui, on ne l’apperçoit pendant le jour que lorsqu’en passant près de sa retraite on le force à se lever; en partant il n’a cependant point l’air de ne pas voir clair, car il se dirige très-bien à travers les arbres.

La femelle pond deux œufs qui, comme je l’ai dit, sont blancs; elle les dépose à terre sans aucune précaution, et presque toujours dans le milieu d’un sentier. Le mâle couve tout aussi bien que sa femelle; et quand ils sont occupés à cette fonction, ils ne se dérangent que lorsqu’on est prêt à mettre le pied sur eux; pour peu même qu’on ait l’air de passer à côté, ils ne bougent pas, aussi n’ai-je jamais manqué de tuer d’un coup de baguette l’engoulevent dont j’avois découvert les œufs; il me suffisoit pour cela de prendre ma direction de manière à passer seulement à deux pieds d’eux, et de bien ajuster l’oiseau en passant. Quand je ne touchois pas aux œufs, je les retrouvois toujours à la même place, mais s’il m’arrivoit de les manier, l’oiseau les transportoit ailleurs, et jamais il ne m’est arrivé de retrouver dans les mêmes environs ceux qui avoient été dérangés de place. Curieux d’observer la manière dont ces oiseaux s’y prenoient pour faire ce déplacement, je montai un jour sur un arbre à portée de deux œufs que je venois de découvrir dans le milieu d’un sentier très-étroit, et que je maniai exprès. L’oiseau qui le premier revint pour se mettre dessus, et que je reconnus pour être la femelle, se posa d’abord à terre à quelque distance des œufs dont elle s’approcha en avançant de quelques pas; mais s’étant apperçue qu’ils avoient été touchés, elle en fit plusieurs fois le tour, ayant la tête appuyée le plus près qu’il étoit possible des œufs; de manière qu’elle marchoit de côté. Lorsque cette opération fut faite, elle fit plusieurs cris en battant des aîles et de la queue, en même tems qu’elle avoit la poitrine appuyée sur la terre. A ces accens le mâle arriva aussitôt, se posa à côté de sa femelle, et se mit à répéter les mêmes cris et les mêmes mouvemens. Après quoi tournant l’un et l’autre à plusieurs reprises autour des œufs, ils s’en saisirent chacun d’un qu’ils prirent dans leur bouche, et disparurent tous deux. J’espérois retrouver la couvée à quelque distance sur le même sentier, mais malgré toutes mes recherches, et quoique j’eusse suivi le sentier à travers la forêt entière, je ne retrouvai ni les oiseaux, ni les œufs que j’aurois certainement reconnus, ayant bien examiné l’un d’eux sur lequel il y avoit une petite tache de sang fort remarquable.

Les œufs de cet oiseau sont entièrement blancs et d’une fragilité étonnante; leur coquille est même si mince qu’on les casse pour peu qu’on les manie sans précaution. Je n’ai jamais vu ceux de notre engoulevent d’Europe, mais s’ils sont aussi fragiles que ceux du petit engoulevent d’Afrique, je doute beaucoup que ce soit seulement en les poussant du bec, comme on le dit, que chez nous ces oiseaux les changent de place quand on les a dérangés dans leur ponte.

Je n’ai point vu l’Engoulevent à collier dans les environs du Cap. En revanche il est très-connu sur les bords du Gamtoos, dans le pays d’Auteniquoi et notamment vers la baie Lagoa ou Blettenberg. J’en ai tué en deux soirées neuf, tant mâles que femelles, autour du parc des moutons d’une habitation du colon Critsinger, que j’ai trouvé établi près de cette baie, sur les bords du Witte-Drift. J’ai revu encore la même espèce sur les rives du Swarte-Kop, du Sondag, et dans les bois de mimosas du Camdeboo. Dans ce dernier canton les habitans lui donnoient le nom de Nagt-uyltje (petite chouette de nuit). Ces oiseaux ne se nourrissent absolument que d’insectes, et notamment de ceux du genre des bouziers; et j’ai très-bien remarqué qu’ils se posoient à terre pour s’en saisir. Il se peut, et il est même probable qu’ils en attrappent aussi en volant, mais j’ose assurer qu’ils en prennent beaucoup moins de cette manière. Les insectes dont ils se saisissent en volant sont la plupart très-petits, et restent empêtrés dans une salive épaisse, gluante et fort abondante, qui les retient à mesure qu’ils sont pris. Il paroît même que ce n’est que lorsqu’il y en a un certain nombre d’englués qu’ils sont avalés en masse; car je n’ai point tué de ces oiseaux que je n’aie trouvé contre tous les parois de leur palais beaucoup de très-petits insectes, dont souvent les plus apparens n’étoient pas plus gros qu’un puceron ou une puce. Ceci prouve d’une manière incontestable l’excellence de la vue de ces oiseaux, puisque dans l’obscurité ils peuvent voir d’aussi petits objets, qui échapperoient, en plein jour, à la meilleure vue d’homme. Les gros insectes sont avalés aussitôt qu’ils sont pris, et même entiers et tout en vie.

La conformation des pieds courts de cet oiseau, jointe à ce qu’il a de très-petits doigts, l’oblige à se poser préférablement à terre plutôt que sur les arbres: cependant lorsqu’il s’y perche, c’est toujours sur les branches basses et les plus horisontales, parce qu’il y trouve le même à-plomb, et comme il aime à avoir la queue appuyée, lorsque la branche ne lui présente pas une surface assez grande dans sa largeur, il se pose suivant sa longueur. Il est probable que cette habitude est commune à toutes les espèces de ce genre. Au reste, les engoulevens ne sont pas les seuls oiseaux à qui cela arrive; les perroquets et beaucoup d’autres oiseaux ont la même habitude, notamment les oiseaux de proie qui quelquefois se reposent de même. On voit encore très-souvent les tourterelles marcher sur une des grosses branches basses d’un arbre, et la suivre dans toute sa longueur, pour peu qu’elle soit inclinée.


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