Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE FAUCON HUPPÉ, No. 28.
Cet oiseau me paroît approcher beaucoup de celui qu’Adanson a rapporté du Sénégal, et que les Nègres de ces contrées nomment tanas; il est également huppé et son plumage ressemble infiniment aussi, tant par ses couleurs que par leurs distributions, à celui de notre faucon d’Europe; mais il diffère cependant du tanas par la grandeur, puisqu’on lui donne une taille un peu moindre seulement que celle du faucon, tandis que mon Faucon huppé est beaucoup plus petit. Ce dernier a encore un caractère très-remarquable, et dont Buffon ne fait pas mention dans la description du tanas: c’est la mandibule inférieure du bec, qui non-seulement est garnie, comme dans le tanas, d’un crochet très-apparent de chaque côté, mais de plus est tronquée net à son extrémité et coupée carrément. La figure que j’ai donnée indique très-bien ce caractère; qui, s’il est le même dans l’oiseau du Sénégal, n’aura point été saisi ni par le dessinateur, ni par Buffon. La huppe, dont il est aussi question dans la description du tanas, manque absolument dans la figure qu’on en a donnée; et en tout, ce portrait ne se rapporte nullement à la description de cet oiseau, tandis qu’elle convient, au contraire, parfaitement à mon Faucon huppé, à la grandeur près; mais nous savons qu’il arrive souvent que, dans le même pays, les oiseaux varient beaucoup dans leurs tailles, à plus forte raison la même chose peut avoir lieu dans deux contrées aussi éloignées l’une de l’autre, que le sont le Sénégal et le Cap de Bonne-Espérance. Il est donc probable que le tanas, ou faucon pêcheur du Sénégal, est de la même espèce que le Faucon huppé du Cap; et que la figure des planches enluminées de Buffon, No. 478, qui est censée représenter le tanas, est celle d’un autre oiseau de proie. Nous allons voir encore que les mœurs du Faucon huppé sont aussi les mêmes que celles du tanas: raison qui vient à l’appui de mes soupçons sur l’unité d’espèce de ces deux oiseaux africains. Mais comme la description du tanas n’est point assez détaillée, et que deux oiseaux peuvent bien se ressembler, et ressembler encore à un troisième, sans être cependant de la même espèce, nous remettrons à prononcer plus affirmativement, jusqu’au moment où nous aurons vu en nature le tanas du Sénégal; en attendant, nous laisserons à cet oiseau de proie du Cap le nom particulier que je lui ai donné.
La huppe de ce petit faucon est très-apparente; elle part du front et s’étend jusque passé le derrière de la tête, quand l’oiseau la couche; il la relève souvent, et particulièrement quand il est animé, soit par la colère, ou par un sentiment plus doux, celui de l’amour: c’est dans ce moment sur-tout qu’il l’épanouit et l’étale pour plaire à sa femelle, à laquelle il paroît très-attaché. Dans cette espèce, le mâle est de la grosseur d’un pigeon ordinaire; sa femelle est d’un grand quart plus forte, et sa huppe est moins longue; du reste, ils se ressemblent beaucoup pour la teinte et la distribution des couleurs, qui sont, sur tout le dessus du corps, d’un gris-bleu ardoisé; la huppe est brunâtre. La gorge, le cou et la poitrine sont d’un blanc sali; tout le dessous du corps, sur ce même fond, porte des bandes transversales; la queue est également rayée en travers. Les pieds et les doigts sont jaunes; la base du bec est bleuâtre et la pointe en est noire, ainsi que les griffes qui sont très-effilées et fortes. De chaque côté de la bouche descend une balafre brune; les aîles ployées s’étendent au-delà du bout de la queue; l’œil est d’un jaune orangé.
Le Faucon huppé fréquente les lacs, les bords de la mer et les rivières poissonneuses; il ne chasse point, mais pêche, et se nourrit de tous les petits poissons et crabes qu’il peut attraper; il s’accommode aussi d’oursins, de moules et d’autres coquillages, dont il brise l’enveloppe avec son bec qui est très-fort. Je l’ai vu poursuivre, avec acharnement, les mouettes, les hirondelles de mer, et même les albatros et les pélicans, oiseaux dont la grosseur et la force auroient dû lui en imposer; mais tous le fuyoient également; les hirondelles de mer paroissoient même moins le redouter que ces grands et lâches palmipèdes. Quand ce Faucon huppé s’est adonné à vivre sur les bords de la mer, c’est sur les rochers qu’il fait alors son nid; dans les terres, il le construit sur les arbres qui bordent les rivières qu’il fréquente et qui lui procurent le plus abondamment sa nourriture. La ponte est de quatre œufs entièrement d’un blanc roussâtre. Le mâle partage les soins de l’incubation et ne quitte point sa femelle, dont il prend le plus grand soin, ayant l’attention de lui apporter amplement les fruits de sa pêche. Toute la petite famille vit long-tems ensemble, et les jeunes ne se séparent que pour donner eux-mêmes leurs soins à une nouvelle postérité.
Les très-longues aîles du Faucon huppé paroîtroient devoir lui faciliter les moyens de chasser, car il a le vol très-rapide; mais jamais je ne l’ai vu prendre les oiseaux auxquels il donnoit la chasse; ce qu’il auroit pu faire facilement, puisqu’il les abordoit d’assez près pour leur donner des coups de bec et les faire crier; mais il m’a paru que c’étoit simplement pour les écarter du canton qu’il s’étoit choisi et dont il s’éloignoit très-peu lui-même.
Les jeunes diffèrent des vieux par une teinte fauve répandue sur tout leur plumage, et par le blanc sale de la gorge, du cou et de la poitrine qui est varié de roux et de gris-brun; et leur huppe ne paroît aussi que quelques mois après qu’ils ont pris l’essor.