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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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LE GRENOUILLARD, No. 23.

Cet oiseau de proie, que j’ai nommé Grenouillard, nous présente à peu près les mêmes dimensions, et précisément les mœurs de notre busard[13], à côté duquel il peut être placé. Il ressemble à cet oiseau par son corps svelte et par la longueur de ses tarses; il en diffère par le bec qu’il a plus alongé et moins épais à sa base. On le distingue encore facilement par ses couleurs, qui en diffèrent totalement. Tout le dessus du corps est d’un brun de terre d’ombre lavé, du moins c’est la couleur des plumes dans leur partie visible; celle qui est cachée est souvent blanche d’un seul côté, et pour l’ordinaire inégalement des deux côtés de la tige. La gorge et les joues sont couvertes de plumes foibles à barbes désunies, d’une couleur blanchâtre, et portent une bande longitudinale brune; le dessous du corps est d’un brun clair, légérement varié de blanc sur la poitrine et le bas-ventre; sur les jambes, la couleur blanchâtre borde toutes les plumes, qui sont d’un roux ferrugineux, ainsi que le dessous de la queue. Les aîles sont brunes; en dessous, elles portent des bandes transversales de blanc et de brun clair. La queue, qui est coupée carrément au bout, est de la même couleur que les pennes de l’aîle. Elle est rayée en travers d’un brun plus foncé, sur-tout dans le milieu de chaque plume, les bords étant d’une teinte plus claire. Le haut du cou et le poignet de l’aîle sont parsemés de taches blanches. Les pieds et les doigts sont jaunâtres; la base du bec est d’un bleu pâle, le bout en est noir, ainsi que les serres. Les aîles ployées s’étendent aux deux tiers de la longueur de la queue. L’œil est d’un gris-brun.

Les colons du Cap et les Hottentots, voyant continuellement ce busard planer sur les marais et se percher sur les buissons ou sur les arbres qui les avoisinent, d’où il fond sur les grenouilles qu’il apperçoit et qu’il dévore dans l’épaisseur des roseaux, lui ont donné le nom de kikvors-vanger (attrapeur de grenouilles), d’où j’ai tiré celui de Grenouillard. Cet oiseau ne se contente pas seulement de la chasse des grenouilles, car il fait la guerre à tous les oiseaux aquatiques, particulièrement quand ils sont encore jeunes.

C’est en planant avec grace et adresse au-dessus des marais, que son œil, toujours attentif, guette sa proie, sur laquelle il fond impétueusement. S’il sort des roseaux à l’instant même qu’il s’y est abattu, c’est une preuve qu’il a manqué son coup; sinon il ne reparoît que quand il a mangé sa proie, qu’il dévore sur la place même où il l’a saisie. J’ai trouvé dans l’estomac de ce busard des débris de poisson; ainsi il pêche aussi bien qu’il chasse. C’est dans les marais et parmi les roseaux que le Grenouillard établit son nid, qu’il construit avec des tiges et des feuilles amoncelées de ces plantes aquatiques. J’ai trouvé plusieurs fois leurs couvées, où j’ai vu trois ou quatre œufs entièrement blancs.

Cet oiseau est généralement répandu dans toute l’Afrique, depuis le Cap des Aiguilles jusqu’à chez les Caffres, c’est-à-dire, le long de la côte est, où j’en ai tué plusieurs. Je n’assurerai point qu’il se trouve sur la côte opposée et notamment dans l’intérieur des terres, quoiqu’il me semble en avoir apperçu plusieurs voler au-dessus de quelques marais; mais comme il ne m’a point été possible d’en tuer un dans ces cantons, pour vérifier le fait par la comparaison, je n’affirmerai point qu’ils étoient de la même espèce. En tout cas, si c’est la même, elle y est au moins infiniment plus rare; et la raison en est simple, car dans l’intérieur des déserts, et le long de la côte ouest, les terres étant sablonneuses, sèches et arides, offrent peu de marais; et ces oiseaux, les recherchant de préférence, doivent naturellement fréquenter les lieux les plus arrosés et les plus humides. C’est sur les bords du Duyven-Hock, du Gaurits, du Brak, et dans les marais d’Auteniquoi, où j’ai le plus rencontré le Grenouillard. La femelle, dans cette espèce, est plus forte que son mâle d’un quart tout au plus, et elle n’en diffère que par quelques légères teintes plus foibles dans son plumage.

Etant campé dans les environs de la baie Lagoa, mon fidèle Klaas m’apporta un jour un busard qu’il venoit de tuer dans un marais situé près de nous, entre le Queur-Boom et le Witte-Dreeft. C’étoit dans le moment où je fus attaqué d’une forte dissenterie. Ma maladie m’ayant empêché de préparer cet oiseau, et Klaas remarquant le plaisir qu’il m’avoit fait, imagina, n’étant point encore adroit à les écorcher à ma manière, de le faire tout au moins sécher avec sa chair; opération qui fut cause de sa destruction totale, et qui prive le public du portrait d’une espèce que je n’ai pu me procurer une seconde fois; mais j’y supplérai par la courte description que j’en ai faite d’après l’oiseau même, ce qui suffira pour l’indiquer. Il est de la même taille à peu près que le Grenouillard; son plumage est en général par-tout d’un brun sombre, très-approchant de la couleur de notre busard d’Europe. La plus grande partie de sa tête et ses joues sont d’un blanc sali de roussâtre. Presque toutes les petites couvertures des aîles étoient de cette même couleur; les pieds et la base du bec avoient une teinte jaunâtre. Je n’ai pas beaucoup examiné cet oiseau; par conséquent il m’est impossible de décider s’il est simplement une variété du Grenouillard, ou peut-être de notre busard européen, qui a aussi la tête blanchâtre; mais ce dernier n’a pas, comme celui que j’ai indiqué, les petites couvertures des aîles de cette même teinte de blanc-roux. Je ne me rappelle point si la queue étoit étagée, ou carrément coupée, comme celle du Grenouillard: ce caractère seul m’auroit éclairci le doute; mais, comme je l’ai dit, mon attention n’a point été très-scrupuleuse sur l’individu: car il étoit naturel de supposer que je tuerois un autre oiseau de la même espèce. Ceci prouve combien il est essentiel de ne pas négliger les plus petites occasions d’observer; car par fois nous en laissons échapper une qui ne se présente plus; aussi un voyageur ne doit point rebuter l’objet qui lui paroît le moins bien conservé; puisque souvent on ne les retrouve pas une seconde fois. Il m’est arrivé mainte fois, dans le commencement de mon voyage, de rejeter un oiseau parce qu’il étoit trop mutilé du coup de fusil, et de le regretter par la suite. Aussi faut-il conserver soigneusement, même les objets les plus défectueux, au moins jusqu’au moment où l’on se trouve à même de les remplacer mieux.

En passant dans le Lange-Kloof ou Vallée Longue, et longeant la rivière Krom, j’ai vu, à plusieurs reprises, planer au-dessus d’un marais, un oiseau de proie, qui, à toute son allure, m’a semblé aussi être une espèce de busard. Je l’ai vainement guetté tout un après-dîner, et l’ai malheureusement tiré d’un peu trop loin, dans un moment où il passoit à une certaine distance de moi; mais, ne l’ayant que légérement blessé, il s’en fut, et ne se montra plus après. Le plumage de celui-ci m’a paru être tout noir; mais son croupion étoit entièrement blanc.


OISEAUX DE PROIE

DONT NOUS NE CONNOISSONS POINT

EN EUROPE LES ANALOGUES.


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