Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE PARASITE, No. 22.
Le milan se caractérise, parmi les races nombreuses et difficiles à reconnoître des oiseaux de proie, par sa queue fourchue et par ses longues aîles, lesquelles atteignent l’extrémité de cette queue, qui elle-même est fort alongée. C’est d’après ces caractères réunis que je rapporte au genre du milan d’Europe, l’oiseau que j’ai fait représenter planche 22. L’ensemble des différens traits de la conformation des animaux, éclaire le travail qu’on fait pour les classer, et prévient l’erreur dans laquelle induiroit souvent la considération d’un seul caractère: non-seulement ceux énoncés ci-dessus conviennent parfaitement au Parasite; mais la forme totale du corps de cet oiseau, son port et ses habitudes, tout se rapporte pour le placer naturellement à côté de notre milan[9]. Il en diffère par sa queue, beaucoup moins fourchue, et par sa taille, car le Parasite n’est pas plus fort que notre soubuse; par son bec, qui est jaune au lieu d’être noirâtre comme dans notre milan; par la base du bec, bleuâtre au lieu de jaune. Ils ont de commun les pieds jaunâtres et les serres noires. Une courte description des couleurs du Parasite, jointe à un simple coup-d’œil de comparaison sur les figures qui représentent ces deux oiseaux, suffiront maintenant pour les faire distinguer l’un de l’autre.
La partie supérieure de la tête, le cou, les scapulaires et tout le manteau en général, sont, dans le Parasite, d’une couleur brune de tan; la tige de chacune des plumes de toutes ces parties a une teinte noirâtre; et toutes sont lisérées d’une nuance moins foncée. Les plus grandes couvertures du dessus des aîles ont leurs bords encore plus lavés. Les grandes pennes de l’aîle sont noires, les moyennes moins foncées et les dernières brunes. Les joues et la gorge sont blanchâtres; la poitrine est de la même couleur que le manteau. Le ventre, les jambes et les recouvremens du dessous de la queue, sont d’une belle couleur de canelle ou de bois d’acajou; et généralement toutes les plumes de cet oiseau ont une ligne noirâtre le long de leurs tiges. La queue est brune, elle est de plus rayée transversalement d’une couleur plus foncée; et à l’exception des deux premières de chaque côté, le bout de chacune des pennes qui la composent est d’un fauve léger; l’iris est d’un brun-noisette.
Dans cette espèce, la femelle est un peu plus forte que le mâle, et ses couleurs sont plus ternes.
J’ai trouvé le Parasite répandu dans toute la partie de l’Afrique que j’ai visitée; je l’ai rencontré plus communément dans les cantons les plus fournis de menu gibier, et notamment chez les Caffres et dans le pays des Grands Namaquois. Dans la colonie du Cap, les habitans nomment cet oiseau kuyken-dief, qui signifie voleur de poulets; c’est le nom hollandois du milan, et non pas kuken-duf, comme l’a écrit Buffon d’après Aldrovande. Il n’est pas étonnant que les premiers Hollandois qui vinrent s’établir au Cap, ayant reconnu dans cet oiseau une espèce aussi analogue à leur milan, lui aient donné le même nom.
Le Parasite a, dans le caractère, plus de hardiesse que notre milan; la vue des hommes ne l’empêche pas de fondre sur les jeunes oiseaux domestiques; il n’y a point d’habitation où il ne paroisse, à certaine heure du jour, quelques-uns de ces oiseaux voleurs. Dans mes voyages, lorsque j’étois campé, il ne manquoit jamais d’en arriver plusieurs, qui se posoient sur mes charriots, d’où ils nous enlevoient souvent quelques morceaux de viande. Chassés par mes Hottentots, ils revenoient à l’instant avec une voracité et une hardiesse toujours incommodes; les coups de fusils ne nous débarrassoient point de ces Parasites; ils reparoissoient quoique blessés. Invinciblement attirés par la chair qu’ils nous voyoient préparer, et qu’ils nous arrachoient, pour ainsi dire, des mains, notre cuisine, à l’air et sous la voûte du ciel, les nourrissoit malgré nous. Sur les bords des rivières, j’ai vu ce milan s’abattre du haut des airs, et se plonger dans l’eau, comme le nôtre, pour en tirer un poisson, nourriture dont il est très-friand. Il chasse d’ailleurs toutes sortes de menu gibier. Les restes des grands quadrupèdes que je tuois pour mon usage et celui de mes gens, étoient fort de son goût. Il se rabat aussi sur les charognes, dont il disputoit même courageusement, et avec succès, les lambeaux aux corbeaux, ses mortels ennemis: ces oiseaux fuyoient en vain avec leur proie, le Parasite s’acharnoit à leur poursuite et les forçoit à la lui abandonner. Il se battoit courageusement aussi contre les buses et les autres oiseaux de proie, ou plus foibles ou plus poltrons; et dans ces combats il étoit bien servi par l’habilité de son vol et la légéreté de ses mouvemens, qui l’élèvent au besoin à des hauteurs prodigieuses, d’où on l’entend pousser un cri perçant, mais rare.
Quand une fois ces oiseaux avoient apperçu mon camp, j’étois persuadé de les voir revenir tous les jours à la même heure, et chaque visite en augmentoit le nombre, au point que quelquefois nous en étions obsédé d’une douzaine. J’en ai remarqué un, étant campé à la rivière Gamtoos, où je suis resté fort long-tems, qui est venu fidèlement tous les jours me visiter, à onze heures du matin et à quatre heures de l’après-midi: j’étois très-persuadé que c’étoit le même, car il lui manquoit, à une des aîles, quatre ou cinq des moyennes pennes, que j’avois abattues d’un coup de fusil; ce qui produisoit un vide qu’il étoit facile de remarquer, et me le faisoit toujours reconnoître. Le passage de ces oiseaux dans les mêmes cantons, et toujours à peu près à la même heure, est une observation que j’ai généralement trouvée vraie durant tout le cours de mes voyages, il paroît même que c’est une habitude particulière de ces milans d’Afrique et de ceux d’Europe; car j’ai remarqué à ces derniers la même coutume de passer à certaines heures par les mêmes endroits, et jamais je n’ai manqué de tuer un milan dont j’avois envie, quand je l’attendois à l’heure et dans le lieu où je l’avois vu une fois roder.
Le Parasite fait son nid sur les arbres ou dans les rochers; mais s’il se trouve quelque marais dans les environs du pays qu’il habite, il le fréquente de préférence, et place son nid sur quelque buisson entre les roseaux. La ponte est de quatre œufs, qui sont tachetés de roux. Dans le premier âge, le Parasite est couvert d’un duvet grisâtre. Au sortir du nid, ses couleurs sont d’un brun plus sombre que par la suite. Sa queue est alors presque carrément coupée. Ce caractère d’avoir, dans son jeune âge, la queue moins fourchue, est conforme à celui du milan d’Europe. Le milan noir[10], dont les naturalistes ont fait une seconde espèce, n’est autre chose que le jeune milan d’Europe qui n’a point encore subi sa seconde mue. Ceci est un fait dont je suis très-certain, ayant élevé plusieurs de ces prétendus milans noirs, que j’avois enlevés du nid après avoir tué le père et la mère, que je reconnoissois pour être de l’espèce du milan ordinaire; tandis que ces mêmes petits étoient exactement conformes aux descriptions du milan noir, qui, au reste, soit dit en passant, n’a pas un atôme de noir dans son plumage, comme il est facile de s’en convaincre. Des gardes-chasse m’ont souvent apporté de ces mêmes prétendus milans noirs, que j’ai toujours reconnus, à la mollesse des os de leurs crânes, pour n’être que des jeunes oiseaux; et Buffon a eu d’ailleurs grande raison, comme on le voit, de ne considérer le milan royal et ce milan noir, que comme deux espèces très-voisines, puisqu’ils ne sont en effet qu’une seule et même espèce dans deux âges différens.
Le Parasite est donc une seconde espèce de milan à ajouter à celui d’Europe. Quant au milan de la Caroline de Brisson[11], ou l’épervier à queue d’hirondelle de Catesby[12], il est certain que ce n’est que par rapport à sa queue fourchue, que cet oiseau a été indiqué comme un milan; car par tous les autres caractères il s’en éloigne absolument. Il est indubitable que si la forme du bec et des pieds sont les principaux caractères d’après lesquels ces méthodistes ont cherché à différencier les genres, l’oiseau dont il est question n’est point un milan, car sa mandibule supérieure est unie de chaque côté, et non cranée comme celle de cet oiseau et comme l’ont généralement tous les oiseaux de proie. Si nous considérons maintenant la forme des pieds de ce prétendu milan de la Caroline, nous trouverons qu’il a le tarse proportionnellement moitié aussi long que notre milan, qui l’a déja plus court même que les buses, et par conséquent que les éperviers, qui, de tous les oiseaux de rapine, les ont les plus longs; ainsi le nom d’épervier à queue d’hirondelle, que lui donne Catesby, ne lui convient pas plus que celui de milan que lui a appliqué Brisson; et si, en effet, cet oiseau a la queue fourchue, elle l’est, comme on peut le remarquer, bien différemment que celle du milan; car elle se trouve entièrement évidée, presque dès son origine; tandis que l’enfourchure de la queue du milan ne commence que vers sa pointe. D’ailleurs, si nous voulions prendre pour caractère générique les formes de la queue, on seroit, d’un côté, obligé d’admettre, dans le même genre, quantité d’espèces qui n’ont nul rapport entre elles; et, d’un autre côté, d’en faire plusieurs de différentes espèces qui très-certainement sont du même genre, malgré les différentes formes de leur queue. La seule famille des gobes-mouches nous offre une variété étonnante dans la conformation de leurs queues.
Il se trouve au Sénégal un oiseau de proie auquel les François ont donné le nom d’écouffe. Si, en effet, c’est un milan, il est probable qu’il est de la même espèce que le Parasite; puisque tout ce qu’en dit l’auteur qui en parle s’y rapporte parfaitement. «Toute nourriture convient, dit-il, à sa faim dévorante; il n’est point épouvanté des armes à feu; la chair cuite ou crue le tente si vivement qu’il enlève aux matelots leurs morceaux dans le tems qu’ils les portent à leurs bouches.» Tout ceci revient bien à ce que j’ai dit de la voracité du Parasite. D’ailleurs, comme j’ai trouvé ces oiseaux en plus grande quantité chez les Grands Namaquois et vers le tropique que près du Cap, il n’y auroit rien d’étonnant que l’espèce se retrouvât dans les mêmes latitudes de l’autre côté de la ligne; et cela est même plus que probable.
DES BUSARDS.