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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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LE FAUCON CHANTEUR, No. 27.

Le jaune de la base du bec ainsi que des pieds, des couleurs élégantes, et un chant soutenu, caractérisent un des plus beaux oiseaux de proie d’Afrique, celui que j’ai nommé Faucon chanteur. Un organe dont il paroît doué seul, exclusivement à tous les autres oiseaux de rapine, si nous en exceptons pourtant le vocifer[16], mérite bien de jouir d’une dénomination particulière, comme privilégié à cet égard; puisqu’en dénommant les objets d’histoire naturelle, on doit, autant qu’il est possible, chercher à les peindre par leur nom; cependant ce nom ne porte pas sur la configuration seule; mais nous pensons aussi pouvoir nommer les animaux d’après leurs facultés, par la raison que l’histoire naturelle ne consiste pas seulement dans la partie descriptive, mais dans la somme des formes, des mœurs et des facultés. L’étude de ces rapports réunis devant être le but de tout naturaliste, il doit chercher à fixer les espèces par le trait le plus frappant de leur signalement physique ou moral, pendant que le nomenclateur ne s’attachera qu’à la description des couleurs; ce qui nous importe le moins de connoître avec autant de détails; car il est rare que deux oiseaux du même genre, et qui se ressemblent le plus par leurs plumages, n’aient pas quelque caractère différent, qu’il soit aisé de saisir pour les distinguer l’un de l’autre; et c’est à quoi le vrai naturaliste doit s’attacher le plus, pour éviter cette confusion qui ne règne déja que trop dans les différens ouvrages sur les oiseaux.

Au premier coup-d’œil, le Faucon chanteur pourroit être pris pour une grande espèce d’épervier; cependant on ne peut le ranger parmi ces oiseaux, car il a les aîles proportionnellement plus longues, la queue plus courte et le corps plus épais; mais, comme eux, il a le tarse fort long, ce qui l’éloigne un peu des faucons. Sa queue est étagée, les plumes extérieures étant d’un tiers plus courtes que celles du milieu. La tête, le cou, la poitrine et tout le dessus du corps, sont d’un gris de perle, plus foncé sur le sommet de la tête, les joues et sur une partie des plumes scapulaires, où elles prennent un ton brunâtre; les couvertures du dessus de la queue sont blanches; sur les côtés, elles sont rayées de gris-brun et ponctuées de la même couleur. Le ventre, sur un fond blanchâtre, est rayé très-finement de gris-bleu clair; les rayures du reste du plumage sont plus séparées les unes des autres, et elles sont d’un joli gris-bleu sur les jambes. Les grandes pennes de l’aîle sont noires; chacune des plumes de la queue est terminée de blanc, celles du milieu sont noirâtres, les autres ajoutent à cette couleur de larges bandes blanches. L’iris est d’un rouge-brun foncé. Le bec et les ongles sont noirs.

Cet oiseau est de la grosseur de notre faucon. La femelle diffère du mâle par sa taille, qui est d’un tiers plus forte; la base de son bec et ses pieds sont d’un jaune plus foible encore, et c’est principalement dans le tems des amours que ces mêmes parties, dans le mâle, prennent une couleur plus vive ou plus orangée; c’est alors aussi qu’il chante, ainsi que la plupart des autres espèces d’oiseaux chanteurs. Perché sur le sommet d’un arbre, auprès de sa femelle, qu’il ne quitte pas de toute l’année, ou bien dans le voisinage du nid où elle couve, il chante des heures entières, et d’une manière particulière; comme notre rossignol, on l’entend le matin au lever du soleil, le soir au déclin du jour, et quelquefois durant toute la nuit. C’est pendant le tems qu’il chante d’une voix forte qu’on peut facilement l’approcher pour le tirer; mais il faut que le chasseur, qui s’avance sur lui, s’arrête, demeure immobile, et ne fasse aucun mouvement dans l’instant où l’oiseau se tait pour reprendre haleine, parce que dans ces intervalles, il part et s’éloigne au moindre bruit; mais, comme tous les oiseaux chanteurs, il semble s’écouter avec une sorte de complaisance, et n’entend plus ce qui se passe autour de lui; toute sa sûreté étant alors confiée à ses yeux, qui sont très-clairvoyans. Assez généralement cet oiseau se perche sur un arbre isolé, où il est impossible de l’approcher; dans ce cas, le mieux est de l’attendre à la passade, dans un endroit où il soit accoutumé d’aller; car c’est en vain que l’on tenteroit de le surprendre, puisqu’il part aussitôt qu’il voit le chasseur s’avancer vers lui.

Le Faucon chanteur fait une guerre cruelle et sanglante aux lièvres, aux perdrix, aux cailles, et généralement à tout le menu gibier; il prend aussi les taupes, les souris et les rats. La rapine et le carnage sont des fonctions nécessitées chez lui par le besoin de satisfaire un appétit démesuré: j’en ai élevé un jeune que nous ne pouvions rassasier que difficilement.

La femelle construit son nid dans l’enfourchure des arbres ou dans les gros buissons touffus; sa ponte est de quatre œufs entièrement blancs et presque ronds. Dans des voyages tels que ceux que j’ai faits, on goûte de tout; j’ai mangé ces œufs, fraichement pondus, et je leur ai trouvé un petit goût de sauvaigne; cuits, le blanc conserve une grande transparence et une teinte bleuâtre; le jaune est d’une belle couleur rouge de safran, et le dedans de la coquille d’une couleur verte. Dans son jeune âge, le plumage du Faucon chanteur est mélangé de beaucoup de roussâtre.

Cette belle espèce d’oiseau se trouve dans la Caffrerie et dans tout le pays qui l’avoisine; je l’ai rencontré aussi dans le Karrow et le Camdeboo. La saison des amours est le seul tems où le mâle fasse entendre son chant, dont chaque phrase dure près d’une minute. Je n’ai jamais entendu chanter la femelle. Lorsque j’appercevois une couple de ces oiseaux, s’il m’arrivoit de tuer le mâle le premier, j’étois certain d’avoir bientôt la femelle, qui, par attachement pour son mâle, et le cherchant par-tout, l’appeloit sans discontinuer, d’une voix triste et lamentable, dont les accens m’indiquoient à chaque instant les lieux par où elle passoit et repassoit sans cesse en vain, et où il suffisoit de l’attendre; car, faisant peu d’attention à moi, elle sembloit s’offrir volontairement à la mort. Si, au contraire, j’avois tué la femelle la première, le mâle n’en devenoit que plus méfiant; il se retiroit sur le sommet des arbres les plus isolés, où il chantoit non-seulement tout le jour, mais pendant la nuit entière; et si je cherchois à le poursuivre, il quittoit tout à fait le canton et n’y rentroit plus.


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