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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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L’ORICOU, No. 9.

Cette espèce, plus forte que nos plus grands vautours, a dix pieds passé d’envergure, et porte un de ces caractères tranchans qu’il est bon de saisir, pour en tirer les dénominations des animaux; c’est une membrane haute de quatre lignes qui environne l’oreille par devant et qui se prolonge ensuite en ligne droite sur le cou. Cette manière de conque relevée et de quatre à cinq pouces de long, doit sans doute augmenter les facultés de l’ouïe dans cette espèce. Toute la tête et la moitié du cou sont nus, et d’une couleur rouge de chair; cette couleur prend un ton bleu violâtre vers le bec et se blanchit près des oreilles: on remarque seulement sur cette peau colorée quelques poils courts et rares. La gorge est noire et couverte de poils roides de la même couleur. Toutes les plumes du dessus du corps, les aîles et la queue sont d’un brun sombre, bordé d’une teinte plus claire; toutes celles qui recouvrent le cou par derrière sont contournées, et forment une espèce de cravatte frisée, dans laquelle l’oiseau, en faisant rentrer son cou, cache toute la partie qui est dégarnie de plumes: c’est sur-tout en digérant que ce vautour prend cette maussade attitude. Le jabot, qui est très-proéminent, est couvert d’un duvet fin, soyeux et lustré, qui n’imite pas mal le pelage d’un quadrupède; depuis la poitrine jusqu’à la queue, tout le corps est recouvert de longues plumes étroites qui s’éloignent du corps à mesure qu’elles s’alongent. Elles sont arquées en lames de sabre; leur couleur est d’un brun clair bordé de gris-blanc; les jambes et la moitié du tarse sont couverts d’un duvet blanc très-fin, mêlé d’une légère nuance de fauve dans les parties qui avoisinent le talon; le même duvet tapisse tout le dessous du corps; on l’apperçoit aussi à travers les plumes sur la poitrine, et on le voit encore sur les côtés du cou. La queue est étagée; on la trouve toujours usée par le bout. La base du bec et la peau qui l’entoure sont d’une couleur jaunâtre de corne; les pieds et les doigts très-gros sont renforcés de grandes écailles brunes; les ongles larges et très-peu arqués, sont, ainsi que le bout du bec, couleur de corne; l’œil est entouré de longs cils noirs; l’iris est d’un brun maron.

Ce vautour est un oiseau de montagne, comme les autres espèces de ce genre; les abris que forment les couches pierreuses et les cavernes qui s’y rencontrent sont proprement l’habitation de ces oiseaux. Ils y passent la nuit et viennent s’y reposer pendant le jour, lorsqu’ils sont repus; on les apperçoit en grand nombre, au lever du soleil, perchés sur les rochers à l’entrée de leur demeure, et quelquefois une chaîne entière de montagnes en est parsemée dans la majeure partie de toute son étendue. Le frottement des pierres dans les intervalles desquelles ils s’enfoncent, ou sur lesquelles ils se juchent, élime les pennes de leurs queues; pendant que les aigles, marchant plus rarement et se perchant aussi sur les arbres, les conservent plus entières; d’ailleurs, les vautours l’usent encore contre le sol dans la plaine, parce qu’ils ne prennent pas leur essor tout d’un coup, mais seulement après une course de quelques pas, et une contraction forcée des membres. Le vol des vautours n’en a cependant pas moins de force et de hauteur; ils s’élèvent prodigieusement haut, et disparoissent totalement à la vue. On ne conçoit pas comment ces oiseaux qu’on ne sauroit souvent distinguer dans les airs, peuvent eux-mêmes appercevoir ce qui se passe sur la terre, y découvrir les animaux qui leur servent de pâture, et fondre sur eux en grand nombre au moment que la mort leur livre cette proie. Si un chasseur tue quelque grosse pièce de gibier, qu’il ne peut emporter sur l’heure, s’il l’abandonne un instant, à son retour il ne la retrouve plus; mais à sa place, il voit une bande de vautours, et cela dans un lieu où il n’y en avoit pas un seul un quart-d’heure auparavant.

C’est ce que j’ai éprouvé moi-même plusieurs fois dans mes voyages de la part des vautours, soit de l’espèce de celui dont il est question, soit des autres dont j’ai encore à parler; car tous ces voraces carnivores se réunissent et se mêlent dans cette circonstance. La première fois que je demeurai leur dupe, fut dans une occasion où j’éprouvois la disette de provisions; et par conséquent la leçon qu’ils me donnèrent me fut assez sensible. J’avois tué trois zèbres; satisfait de ma chasse, je retournai à mon camp, dont j’étois éloigné d’une lieue, et je commandai qu’on amenât un chariot pour les enlever. Mes Hottentots, plus instruits que moi, me dirent que ce voyage leur paroissoit inutile, parce que les zèbres seroient dévorés avant notre retour. Nous partîmes cependant; mais à peine nous nous avancions que nous vîmes de loin l’air rempli de vautours. En arrivant nous en trouvâmes la campagne parsemée; les zèbres étoient dévorés; il n’en restoit que les grands os, et cependant les vautours arrivoient encore; et de tous côtés, c’étoit un essaim étonnant et toujours mobile de ces animaux, dont on auroit pu compter plus de mille individus.

Curieux d’observer comment pouvoit sitôt arriver un si grand nombre de vautours, je me cachai un jour dans un buisson, après avoir tué une grande gazelle, que je laissai sur la place; dans un instant il vint des corbeaux qui voltigèrent au-dessus de l’animal en croassant beaucoup; en moins d’un demi-quart-d’heure, il arriva des milans et des buses; un instant après, j’apperçus, en levant la tête, des oiseaux à une prodigieuse hauteur, et qui descendoient toujours en tournoyant. Je ne tardai point à reconnoître les vautours: on eût dit qu’ils s’échappoient d’un antre dans le ciel. Les premiers ne tardèrent point à fondre sur la gazelle: je ne leur donnai pas le tems de la dépécer; je sortis de ma cachette; ils reprirent lourdement leur vol, et rejoignirent leurs camarades, dont l’affluence augmentoit à vue d’œil, et qui sembloient se précipiter des nues pour partager la proie; mais ma présence les fit bientôt tous disparoître dans les airs.

Voici donc comment les vautours sont appelés à partager une proie quelconque: les premiers oiseaux carnivores qui découvrent un cadavre donnent l’éveil aux autres qui se trouvent aux environs, tant par leurs cris que par leurs mouvemens. Si le vautour le plus à portée ne voit pas la proie, de la haute région de l’air dans laquelle il nage au moyen de ses grandes aîles, il voit du moins les oiseaux de proie subalternes et terrestres, pour ainsi dire, qui se préparent à en faire curée; mais peut-être le vautour a-t-il la vue assez bonne pour découvrir le gibier lui-même. Il descend donc à la hâte et en tournoyant; sa chûte avertit les autres vautours qui le voient, et qui ont sans doute l’instinct exercé et l’instruction complète sur tout ce qui concerne la pâture. Il se fait donc, dans le voisinage du cadavre, un concours d’oiseaux carnivores qui tombent des nues, et qui suffit certainement pour amener les vautours de toute la contrée, à peu près comme le mouvement de quelques hommes qui courent dans nos villes, amène tout le peuple après eux.

On peut quelquefois tirer une notion utile de l’affluence des vautours vers le lieu qui recèle leur proie, et s’instruire du voisinage du lion, du tigre et de l’hienne. Lorsqu’un de ces animaux a tué quelque grand quadrupède, les vautours, qui l’ont apperçu, arrivent aussitôt, et toujours avec une affluence qui avertit le voyageur de se tenir sur ses gardes; mais ces oiseaux, timides et lâches, ne se sentant pas le courage de disputer une proie, montrent, dans cette occasion, toute la bassesse de leur caractère; car, n’osant faire usage de leur force, de leurs armes, de la masse du corps et de l’avantage du vol, ni même de celui du nombre, moyen le plus stimulant pour les lâches, on les voit se poser respectueusement à quelque distance de l’animal féroce, attendant qu’il ait fini son repas et que sa faim contentée et sa retraite leur permettent de dévorer les restes qu’il leur abandonne.

Les Hottentots et les colons du Cap de Bonne-Espérance, bien instruits, par l’expérience, de l’habileté des vautours à découvrir le gibier et de leur voracité, n’abandonnent jamais une pièce de gibier qu’ils ont tuée et qu’il leur est impossible d’emporter pour le moment, sans avoir couvert et enterré, pour ainsi dire, l’animal sous un tas de branches et de feuillages; ils laissent même sur le monceau ou leur mouchoir ou leur veste; mais, malgré cette précaution, il leur arrive souvent de ne trouver à leur retour qu’un squelette; car les corbeaux, plus hardis, travaillent d’abord à découvrir l’animal, et les vautours, se hasardant alors d’approcher, ont bientôt entièrement dévoré leur proie.

Les colons hollandois des cantons où se trouve l’Oricou, lui donnent le nom de swarte-aas-vogel (oiseau de charogne, noir). Ils désignent ce vautour par la couleur noire, pour le distinguer d’une autre espèce de vautours blonds, dont je parlerai dans l’article suivant sous le nom de chasse-fiente, nom qu’il porte au Cap, où les habitans le désignent encore par celui de stront-jager: ceux de stront-vogel, stront-jager ou aas-vogel, sont les noms que généralement on donne au Cap à tous les vautours.

Je n’ai jamais vu l’Oricou dans les environs du Cap; mais il est très-commun dans l’intérieur des terres, sur-tout vers le pays des Grands Namaquois, où on trouve aussi l’autre espèce.

Il niche dans les cavernes des rochers. La femelle ne pond que deux œufs blancs et très-rarement trois. C’est en octobre que ces vautours commencent à entrer en amour, et en janvier leurs petits sont tous éclos. Comme ils vivent en troupes formidables, une seule montagne recèle quelquefois autant de nids qu’il y a des endroits propres à en contenir. Il est à remarquer que jamais les vautours ne nichent sur un arbre, du moins en Afrique; et je serois bien trompé s’il n’en étoit pas de même à l’égard des vautours du monde entier. Ils paroissent vivre en très-bonne intelligence entre eux; car j’ai vu dans la même caverne quelquefois jusqu’à trois nids l’un à côté de l’autre.

Dans le tems de l’incubation, chaque mâle fait le guet sur la bouche de l’antre où couve sa femelle; ce qui rend alors le nid facile à remarquer; mais en revanche il est presque toujours inaccessible. J’ai cependant, à l’aide de mes Hottentots, quelquefois franchi toutes les difficultés et risqué souvent ma vie pour examiner les œufs de ces oiseaux, dont le repaire est un vrai cloaque dégoûtant, et infecté par une odeur insupportable. Il est d’autant plus dangereux d’approcher de ces retraites obscures, que l’entrée en est couverte de fiente, toujours liquide par l’humidité produite par les eaux qui suintent sans cesse des rochers; de sorte que l’on risque, en glissant sur ces pointes de rochers, de tomber dans des précipices affreux au-dessus desquels ces oiseaux s’établissent de préférence.

J’ai goûté les œufs de l’Oricou, ainsi que ceux du chasse-fiente, et je les ai trouvés assez bons pour en faire usage.

En naissant, le jeune Oricou est couvert d’un duvet blanchâtre. Au sortir du nid, son plumage est d’un brun clair, et toutes ses plumes sont bordées d’une teinte roussâtre. Celles de la poitrine et du ventre ne sont point encore alors contournées en lames de sabre, et sa tête et son cou sont entièrement couverts d’un fin duvet très-touffu, et les conques de ses oreilles paroissent à peine; ce qui pourroit induire en erreur, et, dans cet état, le faire prendre, par quelques naturalistes peu exercés, pour un aigle, ou bien pour un vautour d’une autre espèce; car il est toujours facile de distinguer un vautour d’un aigle à la forme seule de serres: caractère bien plus certain que celui d’avoir la tête nue; puisque tous les vautours, dans leur jeune âge, l’ont couverte tout au moins d’un duvet: aussi qui pourra distraire des nombreux ouvrages sur les oiseaux, tous les jeunes vautours dont on a fait des aigles? malgré qu’il n’y ait cependant rien de plus facile que de distinguer un jeune oiseau d’avec un vieux; mais pour cela, je le répète, le premier coup-d’œil d’un homme exercé vaut mieux, sans contredit, que la vérification scrupuleuse de tous ces nombreux caractères généraux, qui, la plupart du tems, n’existent que dans l’imagination de celui qui les a établis, et conviennent rarement à deux espèces du même genre. Les Grands Namaquois nomment l’Oricou, ghaip, en faisant précéder ce mot d’un fort clappement de langue.


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