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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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LE BACHA, No. 15.

L’oiseau de proie que j’ai nommé Bacha ne fréquente que les hautes montagnes stériles et brûlées du pays le plus reculé des Grands Namaquois, et de là vers le tropique du capricorne, seule partie de l’Afrique méridionale où je l’ai rencontré et où il est même peu commun. Cet oiseau, qui paroît un peu se rapprocher des buses, se perche toujours sur le sommet de quelques roches escarpées, d’où il peut guéter et découvrir le plus facilement un petit quadrupède très-abondant sur toutes les montagnes de ce pays aride, savoir, le klip-das des colons du Cap[8]; et, quoique d’autres oiseaux de proie chassent aussi ces animaux, il est certain que celui dont il est question en prend infiniment plus; enfin, c’est sa chasse habituelle et sa nourriture de préférence. Il est vrai que les damans, qui sont très-subtils et toujours en garde contre un ennemi aussi cruel, quittent, dans ces circonstances, rarement le bord de leur antre profond, où ils sont bientôt enfoncés dès qu’ils apperçoivent leur ennemi, et par-là forcent souvent l’oiseau de proie à chasser de plus petits individus; trop heureux alors de se rabattre sur quelques lésards et sur des insectes, qu’il ne dédaigne même pas dans les cruels instans de disette.

J’ai vu le Bacha, pour surprendre un daman, passer souvent trois heures de suite sur une pointe de roche, ayant la tête enfoncée dans ses épaules, et y rester si immobile qu’on l’auroit pris facilement pour une partie même de la roche sur laquelle il étoit posé. C’est de cette embuscade que, saisissant un instant favorable, l’oiseau chasseur se plonge comme un trait sur l’animal qu’il apperçoit au bas du rocher sur le bord de son trou. Quand il a manqué son coup, on le voit retourner tristement à la même place où il s’étoit mis aux aguets; et là, comme s’il étoit confus de sa mal-adresse, il laisse échapper plusieurs cris lamentables, qu’on peut rendre par houi-hï—houi-hi-hi—houi-hï—houi-hi-hi. Ces tristes accens semblent peindre ses regrets et sa colère; mais un instant après, quittant cette première embuscade, il va loin de là s’établir dans un autre poste, où il se fixe, avec la même patience et la même immobilité, jusqu’au moment où, plus heureux ou moins mal-adroit, il a réussi à se saisir d’un de ces animaux, qu’on entend à son tour faire des cris affreux, qui jettent tellement l’effroi parmi tous les damans du voisinage, qu’on les voit alors par-tout se précipiter dans leurs vastes souterrains, pour n’en sortir de la journée.

Etant quelquefois moi-même à la chasse du daman dans ces cantons stériles, où, manquant de vivres, nous étions obligés de les tuer pour nous en nourrir, si, par hasard, un Bacha se saisissoit d’un daman dans les environs de notre chasse, il étoit inutile de s’attendre, de plus de trois à quatre heures, à en voir venir un seul sur le bord de leurs demeures, tant les cris de celui qui avoit été saisi imprimoient de terreur à tous ceux du canton; et pour en voir d’autres, il falloit absolument s’éloigner assez pour arriver dans les endroits où les cris du malheureux patient n’eussent point été entendus.

Aussitôt que le daman est saisi, l’oiseau l’emporte vivant sur une plate-forme voisine, et là il semble jouir du plaisir de déchirer les flancs de cet animal, qui est déja à moitié dévoré qu’on entend encore ses cris douloureux. A voir cet oiseau de proie dépécer et déchirer le daman, on le croiroit plutôt animé par la colère et la vengeance que commandé par la faim.

On peut remarquer sur les roches, teintes de sang, toutes les places où cet oiseau cruel et sanguinaire a immolé une victime; au reste, ce caractère féroce du Bacha est bien analogue au sol ingrat et stérile où la nature semble l’avoir fixé et condamné à vivre. Je ne l’ai jamais vu dans les cantons rians et fertiles que j’ai parcourus dans mon premier voyage. Des habitudes aussi sauvages annoncent un oiseau fait, comme l’aigle et tous les êtres cruels, pour vivre isolé; aussi le Bacha vit toujours seul, jusqu’au moment où la nature semble commander si puissamment à tous les êtres, même les moins faits pour la société, de se réunir pour multiplier leur espèce. C’est donc dans ce seul tems, que le besoin de se reproduire force le mâle à rechercher une femelle, qu’il s’associe seulement pour passer ensemble la saison des amours, qui ne commence, pour ces oiseaux, qu’en décembre, et ne dure que le tems nécessaire au développement de deux ou trois petits, qui naissent dans une caverne profonde parmi les rochers, et n’ont eu pour berceau qu’un amas de branches sèches, surmontées d’un lit de mousse et de feuilles mortes, entassées sans aucun ordre et sans beaucoup d’arrangement.

Le Bacha est de la taille de notre buse d’Europe, oiseau auquel il ressemble assez, quant à sa configuration générale; mais duquel il diffère beaucoup dans le détail, tant par ses caractères que par ses mœurs; il est aussi plus leste, moins massif et plus alongé, taillé mieux, enfin, pour la chasse. Il se caractérise par une touffe de plumes longues qui dépassent par derrière les autres de la tête. L’oiseau étale cette espèce de huppe horisontalement, comme une queue arrondie. Le bout de chacune des plumes de cette huppe est noir, et du reste elles sont entièrement blanches. Le sommet de la tête est couvert de plumes noires à leurs pointes et blanches intérieurement; mais le blanc, qui s’apperçoit dans plusieurs endroits, égaie un peu le plumage monotone de cet oiseau, dont la couleur est généralement par-tout d’un brun terreux, plus foncé sur les aîles et la queue, et plus lavé dans les parties du dessous du corps. Depuis la poitrine jusqu’aux jambes, toutes les plumes sont parsemées de plusieurs taches blanches, à peu près rondes; pareilles taches se voient sur l’épaule de l’aîle. Les recouvremens du dessous de la queue et le bas-ventre sont rayés de blanc et de brun, et les couvertures des aîles sont terminées de blanc: la queue porte une large bande d’un blanc fauve, et toutes ses pennes sont lisérées de blanc à leurs pointes. Le bec est couleur de plomb; sa base est jaune, ainsi que la peau, presque nue, du tour de l’œil. Les pieds, les doigts et les serres, sont noirâtres; l’iris est d’un brun-rouge foncé.

La femelle est plus forte que le mâle; ses taches blanches sont moins apparentes et plus salies de fauve. Je n’ai vu que sept individus de cette espèce; des sept je n’ai pu parvenir à en tuer que quatre, deux mâles et deux femelles. Il ne m’est jamais arrivé de trouver ces oiseaux dans la plaine; et souvent je les ai entendu sans les appercevoir. Au reste, ils sont très-farouches et fort difficiles à approcher.


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