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Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1

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L’OURIGOURAP, No. 14.

Voici un oiseau que je place à la suite des vautours, parce qu’il a infiniment plus d’analogie avec eux qu’avec tout autre genre, du moins par ses mœurs; car par la forme de son bec, il diffère beaucoup des vautours, et même de tous les oiseaux de proie en général. Il me paroît que nous devons faire une section dans le genre des vautours pour ceux qui, comme celui-ci et l’urubu d’Amérique[5], ont le bec mince, foible et prolongé en avant. Quoique l’Ourigourap soit plus fort que l’urubu, son bec est cependant moins gros, mais plus long que le sien. Ce bec, peu proportionné à la grandeur de l’individu, du moins par comparaison à la force de celui des autres vautours, est recouvert dans les deux tiers de sa longueur d’une peau nue de couleur orange; les narines sont placées en long dans le milieu de cet espace; le bout du bec se courbe sans aucun cran, et ce bout seul est d’une matière cornée comme celui de tous les autres oiseaux. Ouri-gourap est le nom que les Grands Namaquois donnent à cet oiseau; dans la colonie du Cap, les Hottentots le nomment hou-goop, et les colons européens witte-kraai; noms qui, dans les trois langues, signifient corbeau blanc.

Quoique cet oiseau ne soit réellement point un corbeau, il est très-certain qu’il en a cependant toutes les allures et tous les mouvemens. Il marche exactement comme lui; son vol est aussi pareil au sien, et il vit de même de tout ce qu’il peut trouver.

Dans les cantons qu’habite cette espèce, on ne rencontre pas une seule horde de Sauvages où il n’y ait une couple de ces oiseaux qui y sont fixés. Ils se perchent sur quelques buissons dans les environs, ou sur les haies qui bordent les parcs des bestiaux. Ils sont, pour ainsi dire, domiciliés dans l’endroit, et sont peu farouches, les Sauvages ne leur faisant jamais aucun mal; au contraire, ils les voient avec plaisir, parce qu’ils purgent leurs enceintes de toutes les immondices et ordures qui s’y trouvent toujours.

Les Ourigourap ne vivent point en troupes, comme les vautours et les corbeaux. Cependant, quand ils sont attirés par quelques cadavres, on les trouve quelquefois au nombre de huit à dix réunis; mais dans d’autres momens il est rare d’en voir plus de deux ensemble. Le mâle et la femelle ne se quittent jamais; ils construisent leur nid dans les rochers. Les Hottentots m’ont assuré que la ponte étoit de trois et quelquefois de quatre œufs; ce que je n’ai jamais pu vérifier.

J’ai trouvé ces oiseaux dans les landes stériles du Karow et du Camdeboo; je les ai vu aussi dans le pays d’Auteniquoi, mais très-rarement, ainsi que dans les environs du Cap. En revanche, ils sont fort communs chez les Petits Namaquois, et en bien plus grand nombre encore sur les bords de la rivière d’Orange, et chez les Grands Namaquois.

Ces oiseaux sont peu farouches, et se laissent facilement approcher par le chasseur; mais il faut les tirer avec du très-gros plomb, pour les faire tomber sur le coup. J’étois presque toujours obligé de les faire suivre après les avoir blessés, parce qu’ils alloient mourir quelquefois fort loin du lieu où je les avois tirés. Je n’ai pas campé une seule fois chez les Namaquois que je n’aie été visité, tout le long du jour, par ces oiseaux. Il m’arrivoit de tirer plusieurs fois sur le même, et de le blesser vigoureusement, sans que cela le rebutât; car il revenoit toujours à la charge, pour nous dérober la viande que nous faisions sécher ou fumer en plein air. Faute de chair, l’Ourigourap se nourrit de lésards et de petits serpens; il ne rebute même pas les vers de terre et les insectes qui recherchent la fiente des bestiaux. Enfin, il s’accommode de tout, et je ne lui ai même quelquefois trouvé dans le jabot que des excrémens de bœuf ou d’autres animaux.

L’Ourigourap est plus fort que nos plus grandes buses. Sa queue est toujours usée par le bout; ce qui provient du frottement qu’éprouve cette partie dans les différens mouvemens de l’oiseau, qui se pose souvent à terre, et se retire tous les soirs dans les rochers pour y passer la nuit.

Il est indubitable que l’Ourigourap des Hottentots est le même oiseau que le petit vautour de Buffon[6], ou le vautour à tête blanche de Brisson. J’ai cru pouvoir changer ces deux noms, parce que premièrement celui de petit vautour ne lui convient point, puisqu’il y a des vautours encore plus petits. Celui de vautour à tête blanche est très-impropre; car, en effet, sa tête n’est pas blanche, comme on peut le voir. Je crois faire plaisir en donnant une figure parfaite de l’Ourigourap, puisque, dans les planches enluminées de Buffon, cet oiseau est très-mal rendu, tant pour sa forme que pour ses couleurs; et il est encore à remarquer que la description de ce petit vautour dans Buffon ne s’accorde nullement avec la figure enluminée qu’il en donne; ce qui est fort ordinaire chez lui, comme il est facile de le vérifier.

Il doit paroître plus qu’étonnant que Buffon, en parlant de son petit vautour, ou vautour de Norwège, qui est l’Ourigourap des Hottentots, n’ait point fait mention de la forme singulière du bec de cet oiseau; et qu’ensuite, n’y reconnoissant point le sacre égyptien de Belon[7], qui est très-certainement encore le même oiseau, il nous dise que ce sacre égyptien est un oiseau d’un autre genre, qu’il faut séparer des vautours. Comment Buffon, qui s’est apperçu, par la seule description de Belon, que cet oiseau appartenoit à un autre genre, n’a-t-il pas remarqué que son petit vautour et son urubu avoient absolument le même bec; qui est différent de celui de tous les autres vautours et même de tous les autres oiseaux de proie connus? Je dois encore conclure de là qu’en parlant du petit vautour ou vautour de Norwège, Buffon ne l’a point examiné, et que peut-être il ne l’a même pas vu; quoique cet oiseau soit au Cabinet National, où je l’ai comparé avec grande attention à l’Ourigourap. Je suis donc convaincu que ce vautour de Norwège du Cabinet National, qui est le même individu qui a servi pour le dessin des planches enluminées, No. 449, est de la même espèce que l’Ourigourap du Cap de Bonne-Espérance. S’il est par conséquent vrai que l’oiseau du Cabinet National ait été tué en Norwège, il est certain que l’Ourigourap se trouve et en Afrique et dans quelques parties de l’Europe. Il habite probablement presque toute l’Afrique méridionale, puisque je l’ai vu depuis le Cap jusque vers le tropique, où il étoit même infiniment plus commun qu’ailleurs.

Si, comme le dit Buffon, l’achbobba, que le docteur Shaw a vu en Egypte, est le même oiseau que le sacre d’Egypte de Belon, ce que je ne déciderai pas, d’après la courte notice qu’en donne Shaw; il me paroît au moins certain que les éperviers que Paul Lucas a remarqués aussi en Egypte, ne sont pas, comme il le prétend encore, de la même espèce; car, suivant Paul Lucas, ces éperviers sont de la taille d’un corbeau, et ont la tête d’un vautour, avec les plumes du faucon. Il suffit de jeter un coup-d’œil sur notre planche enluminée, No. 14, pour voir que l’Ourigourap (qui, comme je l’ai dit, est le même oiseau que le sacre d’Egypte de Belon, le petit vautour décrit par Buffon, ou le vautour de Norwège de ses planches enluminées, et enfin le vautour à tête blanche de Brisson) n’a aucune plume qui ait quelque rapport avec celles des faucons; et qu’en outre la taille de ces éperviers est encore très-différente; car l’Ourigourap est beaucoup plus fort qu’un corbeau, puisqu’il approche de la taille d’un dindon femelle.

Le front, le tour des yeux et les joues jusqu’aux oreilles, sont nus dans l’Ourigourap et d’une couleur safranée. Cette couleur est plus vive dans la partie du bec où sont placées les narines; la gorge est couverte d’un fin duvet rare, qui laisse appercevoir la peau, qui est jaunâtre, ridée et capable d’une grande extension. Le haut de la tête et tout le cou sont couverts de plumes longues, effilées et détachées entre elles en brins désunis, sur-tout par derrière et sur les côtés. La couleur générale de cet oiseau est d’un blanc sali de fauve, principalement sur la partie supérieure du corps, et sur les scapulaires; les grandes pennes sont noires, les moyennes sont d’une couleur fauve dans leurs parties extérieures et noirâtres dans celles qui se trouvent cachées lorsque l’aîle est ployée. La queue est d’un blanc-roux; elle est étagée, les plumes du milieu étant les plus longues et les autres devenant successivement plus courtes; de sorte que la dernière de chaque côté est la plus courte de toutes. Le bout du bec et les ongles sont noirâtres; les pieds ont une couleur brun-jaune; le jabot proéminent, et qu’on apperçoit beaucoup quand il est plein, est nu, et d’une couleur jaune safrané.

Dans cette espèce, la femelle diffère du mâle en ce qu’elle est un peu plus forte, et que la couleur de la base de son bec et de sa tête est moins rougeâtre et tire davantage sur le jaune. Dans son jeune âge, l’Ourigourap a toute la partie nue de la tête et de la gorge, couverte d’un duvet grisâtre; et dans les mois de novembre, décembre et janvier, qui est le tems des amours, la couleur du bec du mâle est plus rouge que pendant le reste de l’année.

Je soupçonne beaucoup que le vautour brun de Brisson, tome I, page 455, ou le vautour de Malte de Buffon, planches enluminées, No. 427, n’est qu’une variété de l’Ourigourap; je ne l’assurerai pourtant pas, n’ayant jamais vu cet oiseau en nature et ne le connoissant que par la description de Brisson et la figure coloriée que j’ai citée ci-dessus.


DES BUSES.


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