Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
LE BATELEUR, Nos. 7 ET 8.
De toutes les espèces d’oiseaux de proie connues jusqu’à ce jour, il n’en est aucune à laquelle on puisse comparer ni rapporter l’oiseau dont il est ici question. Sa queue, extraordinairement courte, le distingue et le caractérise d’une manière particulière, car elle dépasse à peine les plumes du croupion qui en recouvrent plus de la moitié, et dans toute sa dimension, elle atteint au plus six pouces de longueur; ce qui prête à l’oiseau peu de grâce sur-tout en volant, et contraste mal avec ses grandes aîles, dont l’envergure paroît encore plus ample à cause du peu d’étendue de cette queue. Quand je vis voler le Bateleur pour la première fois, je crus appercevoir un oiseau que quelqu’accident avoit privé de sa queue; et l’on seroit d’autant plus porté à le présumer, que, dans son vol, il a effectivement un mouvement très-extraordinaire, et que j’attribuai d’abord au défaut de la queue, laquelle, tenant lieu de gouvernail, sert si bien aux oiseaux de proie pour se diriger avec agilité et grâce dans les plaines de l’air. Mes observations me prouvèrent, par la suite, que la queue écourtée de cet oiseau est un caractère constant dans l’espèce, et sa manière de voler, un jeu dont il s’amuse en provoquant sa femelle, qui lui répond de la même manière.
Le Bateleur plane en tournoyant en rond, et laisse échapper, de tems en tems, deux sons très-rauques, dont l’un est chanté d’un octave plus haut que l’autre; souvent il rabat tout à coup son vol, et descend à une certaine distance, en battant l’air de ses aîles, de manière que l’on croiroit qu’il s’en est cassé une et qu’il va tomber jusqu’à terre. Sa femelle ne manque alors jamais de répéter le même jeu. On peut entendre ces coups d’aîles à une très-grande distance; je ne puis mieux comparer le bruit qui en résulte, et qui n’est qu’un froissement dans l’air, qu’à celui que fait une voile dont un des coins s’est détaché, et qu’un grand vent agite violemment.
J’ai tiré le nom de cet oiseau de sa manière de se jouer dans les airs: on diroit, en effet, un bateleur qui fait des tours de force pour amuser les spectateurs. Ces oiseaux sont très-communs dans tout le pays d’Auteniquoi et le long de la côte de Natal jusque dans la Caffrerie. Il ne s’est peut-être pas passé un seul jour pendant tout le tems que j’ai parcouru cette charmante contrée, sans qu’il ne me soit arrivé d’en voir plusieurs couples. Le mâle et la femelle ne se quittent jamais, et rarement les apperçoit-on l’un sans l’autre.
Si la queue très-courte de cet oiseau le distingue des autres oiseaux de proie, ses couleurs très-marquées aideront encore à ne pas le faire confondre avec d’autres espèces voisines. Le Bateleur est d’une grosseur mitoyenne entre l’orfraie et notre balbusard. Son bec et ses serres sont noires; la base du bec est jaunâtre; les pieds sont d’un brun jaunâtre, couverts de larges écailles; la tête, le cou, tout le devant et le dessous du corps sont d’un beau noir mat, sur lequel tranche fortement la couleur d’un roux foncé, qui est celle du dos et de la queue; les scapulaires sont d’un noir lavé, prenant, à certain jour, une teinte d’un gris bleuâtre; toutes les petites couvertures des aîles sont d’un fauve isabelle; toutes les pennes de l’aîle sont noires dans leurs barbes intérieures, et sont liserées extérieurement d’un gris argentin; de manière que quand l’aîle est ployée, elle paroît en grande partie être de cette dernière couleur. L’œil est d’un brun foncé. La femelle est d’un quart plus forte que le mâle, et ses couleurs ont, en général, un ton plus foible.
Le Bateleur bâtit son nid sur les arbres; la femelle pond trois ou quatre œufs, qui sont entièrement blancs: c’est du moins ce que m’ont assuré les colons des cantons qu’habitent ces oiseaux; car je n’en ai jamais vu la ponte. Quant aux jeunes, j’en ai tué plusieurs: dans cet état, ils sont si différens des vieux par leurs couleurs, que, si je ne les avois pas tués pendant que le père et la mère leur donnoient encore à manger, quoiqu’ils fussent aussi forts qu’eux, et si, en les disséquant, je ne les avois reconnu pour être de jeunes oiseaux, il est certain que je les aurais pris pour une seconde espèce du même genre. Lorsque je les apperçus, ils étoient au nombre de six, tous perchés sur un très-gros arbre, qui portoit l’aire où probablement les quatre petits étoient éclos. J’abattis d’abord le père et la mère, après quoi je parvins à tuer trois des jeunes, et ne pus joindre le quatrième, qui s’étoit envolé trop loin dans le bois. Parmi ces trois jeunes, je reconnus, à la dissection, un mâle et deux femelles; et il est plus que probable que celui qui m’échappa étoit un second mâle. Les trois jeunes Bateleurs portoient exactement la même livrée, telle qu’on peut la voir dans la planche 8, où j’ai fait représenter l’une des jeunes femelles. J’ai tué, quelques mois après, d’autres jeunes oiseaux de la même espèce, mais plus avancés en âge: ils portoient déja beaucoup de plumes rousses sur le croupion; sur toute la tête et le dessous du corps poussoient aussi plusieurs plumes noires. Il paroît donc que ce n’est qu’à la troisième mue que le Bateleur prend entièrement sa belle livrée, telle qu’on la voit dans notre planche enluminée, No. 7.
Dans son jeune âge, la base du bec est bleuâtre, le bec couleur de corne et les pieds sont jaunâtres: la couleur générale du plumage est alors d’un brun uniforme, plus clair sur la tête et le cou, et plus foncé sur le reste du corps. Mais toutes les plumes sont en partie bordées d’une teinte plus claire et plus lavée.
Le Bateleur se repaît, comme les vautours, de toutes sortes de charogne; cependant il attaque souvent les jeunes gazelles: il rode dans les environs des habitations, où il cherche à surprendre les agneaux ou les moutons malades; les jeunes autruches, quand elles sont encore petites, deviennent aussi sa proie, sur-tout quand quelqu’accident les ont séparées de leurs père et mère. Les colons d’Auteniquoi nomment cet oiseau de proie berg-haan (coq de montagne); c’est le nom qu’ils donnent, en général, à tous les grands oiseaux de rapine et particulièrement aux aigles.
Il suffit de jeter un coup-d’œil sur cet oiseau, pour être convaincu qu’il n’a point les caractères qu’on a donnés aux aigles; car ses serres ne sont point aussi fortement arquées, et son bec est proportionnellement moins vigoureux. C’est encore une de ces espèces ambiguës qui tiennent autant du vautour que de l’aigle, et qui doit occuper, à côté du caffre, une place entre les aigles et les vautours.
Le canton où j’ai vu le plus communément le Bateleur est celui où j’étois campé sur les bords du Queur-Boom, proche la baie Lagoa. Ils ne volent point en troupe, et on n’en voit plusieurs ensemble que lorsqu’un concours d’autres oiseaux de proie a attiré tous ceux du canton sur quelques cadavres. Dans ce seul cas, on les trouve rassemblés; mais quand ils sont repus, chaque couple prend une route différente pour se rendre dans leurs retraites respectives, et s’enfoncer dans les montagnes voisines ou dans les différens quartiers de la forêt, où ils ont établi leur demeure.
J’ai remarqué aussi que ces oiseaux emportent dans leurs jabots la nourriture qu’ils dégorgent ensuite à leurs petits, à qui ils paroissent très-attachés; car je les ai vus constamment leur porter à manger quoiqu’ils fussent déja aussi forts qu’eux et bien capables de se pourvoir eux-mêmes de nourriture.
DES VAUTOURS.