La Bête Errante: Roman vécu du Grand Nord Canadien
CHAPITRE XI
LA COLLINE DU LOUP
La concession de Pipo Malatesta s'étend à un demi-mille du Yukon, sur la Wolfhill.
Le prédécesseur de l'Italien avait ouvert une tranchée à flanc de colline, puis, las ou fantasque, avait abandonné l'ouverture béante. Les occupations de Pipo Malatesta étaient autrement importantes, aussi il avait laissé les choses en l'état.
Après le départ de Gregory Land, Hurricane avait passé deux jours à examiner sa propriété, cherchant à surprendre le secret de la terre.
Ici poussaient, plantés de guingois, quelques sapins. Là, la roche primordiale crevait l'enveloppe de glace, une roche rebelle au pic.
A l'abri des vents d'ouest, la pente descendait doucement, couverte de lichens et de mousses ; là-bas s'amorçait la lisière de la forêt septentrionale, où toutes les bêtes s'étaient réfugiées loin de l'atteinte des hommes.
Debout, au sommet de Wolfhill, Hurricane regarde. A ses pieds, s'étendent les creeks du campement où tous essayent leur « dernière chance ».
Chacun travaille selon sa force et ses moyens.
Les sifflets de l'American Gold Co déchirent la brune et se répercutent, très loin, vers la tache sombre des bois ; les moteurs ronronnent ; il y a des claquements secs de courroies et, dans le fond de la vallée, c'est l'immense bourdonnement des concasseurs, le bruit sourd et régulier des pilons broyant le minerai à raison de 5 tonnes par jour et de 92 chutes par minute.
La terre payante est amenée au moulin par des wagonnets aériens qui glissent avec un crissement ; une grue d'un geste monotone promène son antenne qui se découpe noire sous le ciel gris ; elle happe un wagonnet, joue avec, puis, cela ne l'intéressant plus, elle ouvre sa mâchoire.
Le minerai roule avec fracas. Alors elle ramène le wagon et s'amuse avec un autre.
Il y a aussi le tapement des marteaux des thawing machines enfonçant des pipettes dans la glace et le giclement de la vapeur dans les pipettes.
Les mineurs moins fortunés se contentent d'arracher le minerai aux « hill sides » et à le mettre en tas, les dumps, qui attendent les beaux jours de mai à septembre pour être lavés.
Hurricane voit le rude labeur des hommes. Tous les placer claims sont en activité. On dirait un paysage lunaire ou le cratère d'un volcan assagi ; excavations, éboulements, bourrelets de roches, dumps, se succèdent, attestant que l'homme n'entend pas laisser « une place où la main ne passe et repasse ».
Le résultat vaut-il l'effort? Mille kilos de minerai arrachés, bloc à bloc, donneront peut-être 10 ou 20 grammes d'or. All right! la terre paie. Et puis on court sa chance, n'est-ce pas? Et pourquoi ne pas espérer la belle carte?
Presque tous connaissent le musée d'échantillons californiens, à San Francisco, où l'on peut voir la reproduction d'une pépite de 42 kilos. Fameux coup de pioche, mes garçons!
Sans se bercer d'une folle chimère, il est raisonnable d'escompter la trouvaille de mille à cinq mille dollars : cela vaut encore la peine de se baisser.
Des graviers amoncelés, quelques rocs arrachés, une gueule s'ouvrant au flanc de la colline, un wagonnet renversé, quelques piquets marquant les limites, telle est la concession dont Hurricane possède les titres en poche.
Tous les creeks sont parallèles dans la direction de droite à gauche, mais, au sommet de chaque colline, ils s'arrêtent brusquement, comme si la veine nourricière était brusquement tarie.
Donc, le premier pionnier avait raison lorsqu'il plantait son pic au cœur de la colline. Hurricane œuvrera là, demain.
Décision prise, il l'expose à Billikins qui, moyennant un salaire raisonnable, a consenti à lui servir de second.
Billikins écoute. Sa face brique creusée de sillons obliques et ornée d'un tatouage savant, ne bouge pas. Seules les prunelles brunes sont mobiles. Une courte flamme les anime, puis il éteint son regard sous la broussaille de ses sourcils.
Lorsque Hurricane a fini de parler, l'Indien Cree étend la main et montre l'espace libre.
Il parle un anglais rauque, les paroles roulent dans sa gorge comme des cailloux dans un torrent :
— Ici, avant que les hommes blancs soient venus, paissaient les troupeaux de mooses. J'en ai dénombré moi-même plusieurs centaines qui, après avoir brouté l'herbe courte, descendaient à la belle saison, s'abreuver dans le fleuve.
« Ici, à l'époque où l'homme parlait comme le chien, se sont rencontrés le grand loup et le grand moose ; c'est le grand moose qui, de son sabot, a fracassé la mâchoire du loup. Depuis, les mooses vivent en paix sur leur terrain de chasse.
« Puis, ceux de ton pays sont arrivés et les mooses sont partis dans la forêt où, à chaque saison, recommence la bataille du moose et du loup.
« Mais les gens de mon clan, qui descendent du loup, pour perpétuer le combat primitif venaient autrefois, quand le soleil reste longtemps là-haut, manger et dormir ici en l'honneur de l'ancêtre.
« Et le Soleil qui nous aime — il est le père du Saumon et le grand-père de Tounya qui vit dans le ciel et dans l'eau — le Soleil jouait avec nous, puis, à l'heure où le grand loup est mort, tandis que nous nous lamentions, ainsi que le veut la coutume, avec des cris, le Soleil se cachait et son dernier rayon s'enfonçait dans la terre. Ici, ici, ici. »
Et l'Indien frappe trois fois du pied le sol inviolé.
Puis il ajoute :
— C'est là que vous devez chercher la pierre jaune comme le soleil.
Hurricane dit simplement :
— Demain vous porterez les outils au bas de la colline. Nous déblayerons l'ancienne entrée et nous attaquerons la roche de droite à gauche, comme les autres là-bas.
Billikins reprend sa gravité première, mais il pense en vérité que les hommes pâles sont pareils aux petits enfants.