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La Bête Errante: Roman vécu du Grand Nord Canadien

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EPILOGUE

LA BÊTE ERRANTE

Mush, mush on, boys.

La neige qui tourbillonne aveugle les chiens. Dans les racines gelées, les bêtes se prennent les pattes ; la toundra est dure à franchir, mais bientôt l'équipe sera au bout de sa peine, un mille ou deux et le trail reprendra.

En attendant, il faut veiller au grain, éviter les blocs de glaces, les trous sournois ; il faut constamment redresser le traîneau et le remettre en ligne ; soudain les patins de cuivre mordent le sol durci. C'est le trail.

Mush, mush on, boys.

L'aboi du leader répond à l'invite de l'homme ; les bêtes redoublent d'ardeur, le sleigh file bon train malgré les tourbillons et les rafales.

A l'abri, près d'un boqueteau de sapins, la halte.

L'homme fait du feu, le café chante, les chiens, qui ont mangé leur pâtée, font un cercle, les narines dilatées par l'odeur du lard qui rissole dans la poêle.

— Dites donc, tas de vous…

Un geste. Les bêtes s'écartent, mais, peu à peu, le cercle se resserre.

Le garçon agacé jette, après l'avoir vidée, la boîte des haricots.

Les chiens courent et se disputent. L'homme mange hâtivement.

— Allons, nous n'avons pas le temps de paresser. Ici, garçons.

Le team attelé, en route!

Le ciel est d'un gris sombre, la neige ne tombe plus, mais un brouillard s'élève.

— Voilà bien ma veine, grogne le yukoner. Pressez-vous, boys, pressez-vous.

Il fait claquer le fouet, les griffes des huskies rayent la terre. Et le traîneau glisse à pleine vitesse d'autant que la piste dévale.

Ils vont un train d'enfer. Le conducteur, à la barre, essaye de freiner. Impossible, ils sont emportés par la déclivité, ils vont, ils vont comme des fous.

La piste s'étrangle dans une passe. A droite, la muraille de basalte, à gauche, à pic, le ravin…

Homme et chiens filent…

Soudain, un choc, des hurlements, un double juron.

Il y a eu collision : un team qui montait péniblement la côte a été télescopé par le team descendant.

— Vous ne pouviez pas faire attention, imbécile.

— Imbécile vous-même, j'aurais voulu vous y voir…

Dans l'ombre, des ombres se meuvent. Les chiens blessés gémissent. Chaque équipe a plusieurs éclopés. Les conducteurs sont allés d'instinct vers leurs bêtes, puis, furieux, ils se dressent l'un vers l'autre, menaçants.

— Brute.

L'autre répond :

— La même chose pour vous.

Mais ces voix irritées se reconnaissent…

Deux cris jaillissent :

— Hurricane!

— Flossie!

Ils sont face à face, gênés, interdits, maladroits.

— C'est vous?

— Dame!

— Qu'est-ce que vous faites ici?

— Et vous?

La réponse est embarrassante. Pour éviter de la faire, ils tombent dans les bras l'un de l'autre.

Hurricane-chien, la gueule de travers, a son air de se fiche du monde.

La première effusion passée, on revient aux bêtes. L'accident est plus grave qu'on ne le pensait. Flossie a trois tués, un blessé ; Hurricane, deux blessés, dont un qu'il faut abattre : il a un tendon coupé.

— Je n'ai plus qu'un labrador, fait la girl, désolée.

— Il remplacera le mien, réplique Hurricane.

— Vous arrangez vite les choses, et moi?

— Vous, vous… vous ne croyez peut-être pas que je vais vous laisser sur la piste. Montez dans le traîneau.

— Mais le mien?

— Le vôtre! Il ne vaut pas grand'chose. Il est sérieusement embouti. Prenez ce qui vous est utile. Ça y est? Maintenant, je vous prie, un coup de main.

D'un même effort, Hurricane et Flossie poussent le sleigh au bord du ravin ; il tombe avec un grondement que l'écho répercute.

Flossie disparaît sous les couvertures et les peaux de renard. Seule sa tête est visible… Hurricane borde la jeune fille.

— Vous êtes confortable?

— Très.

— Alors en route.

Il va lancer ses chiens, mais il hésite :

— A propos, vous ne m'avez pas dit où vous alliez?

— Moi? répond tranquillement Flossie, je ne sais pas.

La réponse vient immédiate :

— C'est précisément où je vais!

FIN

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