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La Bête Errante: Roman vécu du Grand Nord Canadien

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CHAPITRE III

HURRICANE ET HURRICANE FONT CONNAISSANCE

Hurricane-l'homme rafistole un harnais. L'aiguille a de la peine à traverser le cuir. De temps en temps, Hurricane-chien, qui se grille les pattes devant le feu, se dresse et vient se rendre compte de l'étrange besogne que fait son nouveau maître.

— C'est pour vous, ça, vieux frère. Vous allez être beau comme les chiens de riches que des intendants promènent dans le Golden Gate Park, à Frisco. Un chien de financier, ma parole! Attendez, j'accroche ce grelot.

Le grelot tinte. Hurricane-chien vient le flairer. Cela ne lui dit pas grand'chose, ce machin qui fait du bruit, ces lanières qui s'entrecroisent, cette boucle… Non, décidément cela ne vaut pas la peine de s'être dérangé. Reprenons notre place au coin du feu.

Et le chien tourne le dos à son maître ; bientôt il allonge son museau dans ses pattes et grogne, heureux.

Hélas! Il n'est pas de bonheur parfait sur cette terre.

Hurricane, ayant donné le dernier point, s'accroupit, flatte de la main la bête et essaye de lui passer le bizarre accoutrement.

Hurricane-chien, pris en traître, fait un saut de côté ; l'homme n'a pas eu le temps de boucler la boucle. Avec rage, il secoue le harnais ; le grelot tinte, tinte, ce qui rend le chien fou.

Avec ses pattes, il essaye d'ôter cet objet qui le gêne. Voyons, c'est un jeu, enlevez-moi cela…

Mais l'homme ne veut rien savoir, il s'approche, saisit la courroie, la passe sous le ventre et veut accrocher l'agrafe…

Furieux, Hurricane-chien se débat et, d'un seul coup, happe la main qui le tenait.

Hurricane jure :

— Damné chien!…

Et, de sa main valide, il le saisit par la peau du cou et le jette dans la cour.

Le chien, courageux, fait tête, il s'apprête à bondir.

Alors Hurricane prend son fouet et, au moment où la bête s'élance il la cingle.

La rage, plus que la douleur, endiable le chien qui, les yeux injectés de sang, la bouche baveuse, s'avance en grondant. Un nouveau coup l'arrête, puis un autre, et un autre encore.

Hurricane tape, tape, tape. Le chien s'affale, une larme hésite au coin de son œil.

Alors l'homme s'approche. Hurricane-chien essaye de lever la tête, un grognement roule qui fait onduler la peau de son ventre, mais la vue du terrible instrument lui rend le sentiment de sa faiblesse.

Le Maître en profite pour serrer la boucle. Hurricane-chien est debout, étonné ; ses quatre pattes tremblent, les poils autour de son cou se hérissent, sa queue traîne et le grelot tintille doucement.

Lui qui rêvait devant le feu! Ça n'est pas possible! Que lui est-il donc arrivé? C'est fou! Il va se réveiller devant les flammes qui valsent… C'est bon le feu après qu'on a couru librement dans la neige.

Bon sang! ça le gêne cette affaire qu'on lui a fourré et, de sa patte, il se gratte, il se gratte furieusement et le grelot tinte, tinte, pour lui rappeler son asservissement.

Alors, philosophe, il s'assied, doutant définitivement des bonnes choses de la terre.

Hurricane en profite pour le saisir.

D'instinct, la lèvre se retrousse et découvre les crocs. A quoi bon? L'autre est le plus fort.

Il en profite lâchement pour assujettir aux harnais une double poche de toile : dans ces poches, l'homme fourre des boîtes, des outils.

Ah! c'est ainsi, nous allons voir! L'homme a le dos tourné. Hurricane-chien se roule à terre, envoyant promener les conserves, les limes, les marteaux.

Posément, Hurricane-l'homme revient, le fouet en main et la danse commence…

Une danse? Ah! messeigneurs, quelle tournée! Hurricane-chien vivrait-il seize ans qu'il s'en souviendrait.

Mais tout a une fin, même les pires choses.

La distribution terminée, l'homme a replacé les objets dans les sacs, puis il est parti sans retourner la tête.

Soudain, il siffle. Le chien dresse les oreilles. Alors, tristement, à petits pas, le museau touchant le sol, Hurricane-chien suit les pas d'Hurricane-l'homme.

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