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La Bête Errante: Roman vécu du Grand Nord Canadien

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CHAPITRE XII

LA TERRE QUI PAYE

Au matin, la bataille commence de l'homme et du mont.

Il va vers la montagne comme vers un ennemi, avec la volonté de vaincre.

Farouche, il force l'entrée, fait s'ébouler les pierres chancelantes, puis, l'ouverture agrandie, il entre résolument au cœur de la place conquise.

Alors il attaque la roche métamorphique, les gneiss verdâtres et les schistes argileux. Le pic sonne sur le roc, l'œil attentif guette la moindre lueur s'allumant dans la pénombre.

— Billikins, la lampe.

L'Indien accourt. L'homme promène la lumière sur les roches griffées.

Si, là, cela brille, il prend des graviers qu'il écrase du pouce. Les mille facettes du mica apparaissent, trompeuses. Il les rejette, reprend son pic et poursuit le grand œuvre.

Billikins sort le minerai qu'il entasse — le minerai qui s'obstine à garder son secret magnifique.

Enfin, coupant la roche, Hurricane aperçoit un filon de quartz grisâtre. Il abat un morceau qu'il broie au marteau et la matière livre son âme ; dans les grains pulvérisés, il y a des parcelles lumineuses, de l'or, en vérité, de l'or.

Pour plus de sûreté, il met pêle-mêle tous les débris dans la pan, puis, ayant versé un tiers d'eau, il donne à la pan un mouvement giratoire de droite à gauche ; peu à peu la rotation s'accentue, l'eau rejetée emporte les sables et les graviers restent dans le fond ; il remet de l'eau encore, plusieurs fois jusqu'à ce qu'il ne reste plus dans la pan que les parties trop lourdes.

Alors les doigts écartent les cailloux et mille petits points apparaissent.

L'or est là, présent, répondant à sa peine.

La terre paye. Il reçoit son salaire, il l'a dans sa main et, avec un rire un peu forcé, il regarde sa paume dans laquelle la poussière d'or miroite.

Il tremble.

Billikins, sans façon, prend une pincée de pay-dirt, l'éprouve du pouce, fait une moue et laisse tomber :

Gold dust!

Billikins, père rabat-joie, vous n'y entendez rien. Ces petites parcelles plates, de la grosseur d'une tête d'épingle, vous les voyez avec vos yeux de philosophe désabusé, mais le garçon qui est là en est à son premier coup de pioche. C'est la première fois que l'or brûle ses doigts. Il ne sait pas ce chechaquo! Têtes d'épingles, allons donc! Pépites grosses comme des amandes. Que dis-je, des amandes? des noix. Des noix? des œufs, oui, c'est la couvée fabuleuse qui éclot.

Essayez donc de lui démontrer l'inanité de ses pensées ou de ramener à sa juste proportion sa découverte, vous serez bien reçu.

Les prunelles d'Hurricane s'hypnotisent sur le jaune métal. Rien au monde ne lui ferait croire qu'il n'est pas le possesseur de la plus belle mine qui fût jamais découverte sur le territoire du Yukon. Gold dust, eh bien, après!… Once + once = dollars.

Hurricane met dans une pochette sa trouvaille ; trois fois il renouvelle l'expérience, broie le minerai, le pulvérise et le lave ; trois fois au fond de la pan, les joyaux sortent de leur gangue de quartz. Beau début. Belle journée. Le garçon rit, chante, danse.

— Hello, Monsieur Bill, qu'en dites-vous?

Billy n'en dit rien du tout, mais il pense que là-haut, sur l'autre versant de la colline où pâturaient les élans, se cache la véritable fortune.

La fatigue du jour, le froid noir qui pique les poumons, le ciel lourd, le chaos des terres arctiques, Hurricane ne voit rien, ne sent rien ; il marche, léger, la tête haute, ayant l'orgueil de sa force et de sa condition, fier comme s'il portait les plus saintes reliques.

Arrivé dans sa hutte, il ressort sa paye et l'examine à la lueur du foyer. Il prend à témoin Hurricane-chien de la joie présente. Hurricane-chien daigne se lever ; il vient flairer ce que tient si précieusement son maître. Son mufle renifle deux fois. Cela n'est pas bon à manger. Hurricane-chien tourne le dos à la fortune et revient s'accroupir, museau et pattes devant le feu.

Billikins estime que son maître exagère. Dans sa cervelle de Cree, il n'arrive point à comprendre pourquoi les hommes blancs se donnent tant de peine pour gagner cette chose qui brille.

Est-elle donc si utile à la vie? Ne peut-on s'en passer? Lui, son père, ses frères, tous les siens ont souvent trouvé cette chose, surtout dans les cours d'eau, là-bas, du côté de Fairbanks ou de la Tanana, mais le plus misérable des Crees n'en avait pas voulu.

De belles armes de chasse, oui ; des chiens courageux, oui ; des peaux de bêtes, oui ; mais ça? Quelle folie! Et, pour ne pas être complice de cet acte déraisonnable, Billikins passe sa jaquette de fourrure à double queue, s'enroule dans sa couverture, met ses gants de woolverine, qu'il porte attachés par une lanière, puis il se coiffe du plus hilarant chapeau melon qui soit sous le cercle polaire et sort, laissant l'homme blanc à ses contemplations, pour aller retrouver ses frères qui fêtent par des danses et un excellent dîner l'anniversaire de la mort d'un enfant.

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