L'art de chevalerie selon Vegece
Comment l’acteur s’esmerveille veu la petite foy qui au monde court/ comment personne se ose fier en ses saufconduitz Et puis demande s’il advient que aucun roy ou prince crestien donne saufconduit a ung sarrazin se les aultres cristiens par ou il passe le doivent tenir. iiie. cha.
Maistre sans faulte/ ce me semble a mon advis tresgrant merveille veu la petite loyauté qui au jourd’uy court au monde comment ung prince ou seigneur ou gentil homme/ et mesmement quelque homme que ce soit se ose fier par saufconduit de aller en lieu ou ses ennemys soient plus puissans et fors de soy.
Amy se tu t’en esmerveilles ce n’est pas sans cause combien que saufconduit selon l’ancienne coustume de droit d’armes et aussy de toute la loy deue selon la nature eust esté sceure entre parties et ennemys mortelz que nous appellons en nos loiz capitaulx Lesquelles lettres de sceurté les bons et vaillans conquereurs du temps passé n’eussent enfraint pour mourir/ mais a present pour les baratz et subtilités trouvez/ par lesquelz on n’a honte de mentir ne rompre foy ne sermens entre cristiens trop moins que juifz ou mescreans n’auroient/ & conseille par aucuns de nos maistres que en saufconduit on ne se fie de legier/ comme le temps soit venu que ce que les droitz appellent fraude et barat est appellé subtilité & cautelle et ainsy y est le peril grant/ car se de fait ung homme de quelque estat ou condicion qu’il soit veult faire traïson/ puis qu’il a la personne en place ou en lieu ou plus fort se treuve/ il trouvera assez de couleurs d’avoir occasion de le faire occir/ ou par prisons ou comme se cas d’aventure fust/ ou par faire esmouvoir aucun ou bouter feu en la maison & aussy en diverses guises & puisque fait seroit il n’est droit qui y venist a temps/ & pour ces doubtes dit a bon droit la loy/ que pour sceurté de la personne quant il se met au povoir de son ennemy ne se pourroit donner previleges trop grans car apres le fait restitution seroit nulle/ sans faulte maistre c’est pure verité/ mais encore me ditz une question selon droit.
Je suppose que ung roy cristien eust donné saufconduit a aucun sarazin/ Je te demande quelz gens des crestiens luy doivent tenir celluy saufconduit/ car au propos de ce que cy devant as dit me peut sembler tout premierement que les gens du pape n’en ont que faire comme ilz soient a plusgrant seigneur que le roy n’est/ je sçay bien que tu veux dire voirement n’y sont ilz pas tenuz/ & mesmement ne sont les autres roys crestiens selon le tesmoing des loix/ lesquelles dient que hors de sa juridiction homme ne peut faire mandement ne ordonnance/ sy t’en diray/ car de ses subgectz mesmes aucuns pourroient doubter que pas n’y fussent tenuz La cause est pource que les sarrazins sont ennemis generaulx de toute la crestienté c’est chose vraye et aussy escrite/ par quoy nul crestien ne doit recevoir quelconque ennemy de la loy de dieu si est tout homme tenu de plus obeyr a dieu nostre pere que a son prince temporel/ en tesmoing de la loy qui dist/ que a toute personne est permis de contredire a son seigneur s’il est tel qu’il vueille porter garder soustenir ne donner faveu[r] aux ennemys de la foy de dieu dont par lequel droit seroit tenu le subgect dudit roy de garder cellui saufconduit/ & avec ce les sarrazins n’ont pas seulement guerre contre ung roy/ mais contre tous/ et droit dist que une chose qui touche a tous doibt estre esprouvee a tous/ car autrement riens ne vault. Mais or y a il aultre chose/ a entendre/ c’est assavoir que s’il est ainsy que pour raisonnable chose luy ait donné/ sicomme pour traicter ou pourchasser la finance d’aucun chevallier ou aultre crestien quel qui soit/ qui soit en leurs mains prisonnier ou pour autre chose juste et raisonnable/ n’en doutbtés pas que non pas seulement les subgectz dudit roy/ mais generalement tous crestiens par ou il a a passer le doivent laisser aller sceurement pour deux principalles raisons/ La premiere est que entre eulx ne puissent dire que entre nous crestiens eussons pou de foy et pou d’amour ensemble/ quant ne vouldrions pourchasser la delivrance des gens crestiens qui entre leurs mains seroient prins pour la foy de nostre seigneur. L’autre que se rudesse leur estoit faicte entre crestiens s’ilz y viennent posons que ce fust pour marchander ou pour ambaxade ou autre juste occasion/ ilz le pourroient chier vendre a nos crestiens qui pour semblables cas vont souvent entre eulx Ainsy leur doibt estre tel droit gardé que nous voulons qu’ilz gardent/ mais se ainsy advenoit que ung roy ou une ville eust guerre contre ung aultre & pour soy venger ou pour aultre chose non raisonnable faisoit venir a son ayde aucun puissant sarrazin a son saufconduit/ en telz cas nulz crestiens subgectz ne autres ne le doibvent souffrir ne ja pour ce les vassaux ne seroient reputez parjures ne moins loyaulx a leur seigneur/ car mesmement dit la loy que se on treuve ung homme qui porte lettres contre la publicque utilité on les peult oster et rompre. Et dit ung autre semblablement que tout homme doibt bouter hors d’environ soy contre la loy.