L'art de chevalerie selon Vegece
Cy devise se ung gentil homme prisonnier de guerre doibt mieulz aimer a mourir que faulser son serment. xxviie. chapitre.
Or te vueil faire aucunes demandes qui en cas de prisonniers de guerre assés des precedens deppendent. Je prens que ung chevalier a prins en guerre son ennemy et en ung chastel ou aultre prison l’a mis. Je te demande se ledit prisonnier voit son lieu de s’en aller par cautelle ou subtilité s’il le peut faire justement selon droit de guerre/ car je fays doubte que non pour plusieurs raisons La premiere car il luy a baillé sa foy si n’en peut partir sans soy parjurer. La seconde que droit ne veult que on face a autruy ce que on ne vouldroit que on luy feist/ & icelluy prisonnier ne vouldroit pas que son prisonnier ainsy luy feist si trespasse ceste loy en ce faisant. La tierce qu’il est ainsy que son serf & en son mercy jusques a tant que quitte soit de sa raençon/ si me semble qu’il se meffait en tant qu’il mesmes luy oste/ sicomme le sien/ par propre qui est chose qui faire ne se peult sans mesprendre.
Or bel amy ad ce te respondray pour l’autre partie et bien y a/ a regarder/ Car il convient determiner selon les circonstances. Je te dy que on peut dire pour l’autre qu’il n’a riens mesprins/ car il l’a fait selon la loy de nature/ laquelle veut que toute personne soit en liberté.
Item quant il donna sa foy ce fut par force et par merveilleuse contraincte qui lui fist faire/ & promesse faicte par force la loy ne contraint pas a le tenir/ & autres raisons y pourroit dire/ mais au fort quant a droit d’armes/ lequel est permis par toute loy tout ce y fait petit/ car au droit aller Je te ditz que quant ung homme est prins & qu’il donne sa foy de tenir prison. Sans faulte il ne peut sans foy meffaire vers dieu & vers le monde/ s’en partir sans l’accord de son maistre voire aucuns cas reservez et que bien l’entendez/ c’est assavoir que ledit maistre ne luy face autre mal ne grief sinon le tenir en prison convenable ainsi que le droit l’a limitté/ mais je t’accorde bien que s’il estoit tenu si destroit & sy mal mené que en peril en fust de sa vie et que on luy fist chose cruelle et inhumaine. Je te afferme que se voye trouvoit de s’en aller Il feroit tresgrant sens Ne en riens ne deveroit estre reputé meffait Ou que le maistre ne voulsist prendre deue finance selon son povoir/ & il luy auroit offerte plusieurs foys et prié qu’il la voulsist prendre.
Item et au cas que ledit maistre fust tant cruel que acoustumé eust de faire mourir ou tourmenter ou languir en prison ses prisonniers et telles rudesses qui sont contre loy de gentillesse/ celluy qui de tel homme est tenu n’est pas contraint de luy tenir foy se par quelque voye peut eschapper/ car celle foy bailler est a entendre que ainsy que le maistre est sire du prisonnier par vertu de droit d’armes/ que aussy il le doibt tracter humainement si que ledit droit le donne et non pas le tenir comme beste ou pis que sarrazin ou juif/ lesquelz mesmement ne loist traicter si durement que on leur donne cause de desespoir. Et pource te dis que celluy qui premier brise a autruy et trespasse le droit dessert aussy que pareillement luy soit fait.
Voire maistre s’il advient que ung gentil homme prenne ung aultre en bonne guerre/ et nonobstant que le prisonnier ait juré au maistre de tenir prison ledit maistre le tiengne en bonne tour ou en forte prison encloz. Je te demande se tel homme voit son point s’en peut aller sans mesprendre/ car aucuns pourroient pencer que si/ veu que le maistre ne se fie pas au serment ne en la foy du prisonnier/ & puys que ainsi est qu’il ne s’i fie quelle foy doncques luy peul[t] il rompre ne briser/ car il ne se attent pas nullement au premier lier/ mais ainçoys luy baille autre plus fort/ & ou mieulx s’attend. Pource comme il sembleroit ne brise pas le prisonnier sa foy. veu que son maistre la repute pour nulle.
Je te respons derechief que le droit a distincte des choses d’armes/ se le gentil homme jure a tenir prison s’il est ainsy que son maistre luy donne a menger et a boire suffisamment et logis non trop destroit/ & vueil traicter de deue finance quant temps sera/ & que pour la prison qu’il luy donne ne puisse prendre mort ne declinement de son corps & de sa santé/ se tel prisonnier s’en va nonobstant que maistre le tiengne en bonne garde qu’il brise son serment & fait contre droit de guerre & de son deshonneur car s’il est gentil homme il doibt faire ce qu’il appartient/ c’est assavoir tenir son serment a son maistre/ lequel l’eut occis a l’eure qu’il le print s’il eust voulu/ et posons qu’il le tiengne enclos il ne luy fait nul tort/ car il promist tenir prison bien & loyaument sans la briser/ si ne se peut excuser tel fuitif qui n’ait fait mal Car puys qu’il se mist en peril de la bataille C’est assavoir d’estre mort ou prins Il debvoit savoir que prison n’est pas lieu d’esbatement ne de feste si doibt doncques puys qu’il est encheu au peril porter bien doulcement et patiamment la penitance en esperance de une autrefoys escheoir a meilleur fortune.