L'art de chevalerie selon Vegece
Cy devise se le capitaine d’ost chiet en traictié de paix ou de trieves avecque ses adversaires ou ennemys. Et comment il se peult preserver et garder des merveilleux et tresgrans perilz ausquelz il peut estre deceu. Chapitre xx.
Affin que riens qui convenable soit expedient a mettre en nostre livre ne soit oublyé des cas qui en armes souvent adviennent et advenir peust est bon de parler d’une chose qui trop durement peult grever l’ost/ et plus vaincre que fer ne quelconques autres choses/ et qui souverainement fait a eschever et s’en garder quoy que mout forte chose soit a destourner quant en ost c’est embatue si que declairé sera cy apres.
Devisé avons comment ung ost se peult partir le plus sceurement du champ en cas que meilleur conseil lui dist de non combatre. Or supposerons autrement. C’est assavoir que en champ soient les deux ostz a grant effort d’une part et d’autre appareillés de prendre journee de bataille/ mais par certains moiens entrent en tractié de paix/ si est assavoir que en ce cas est necessaire ce que devant avons tant dit : c’est que le capitaine soit sage. Affin que en toutes choses ce sache tenir au mieulx/ et pour ensuyvir la voye que sagesse peult enseigner premierement advisera/ a deux principalles choses.
La premiere est qu’il considerera qui sont les personnes qui traictent et de quel mouvement leur peut venir.
La seconde quel et sur quelz poins est fondé celluy traictié/ quelle est la demande que on luy fait ou quelle est l’offre.
A la premiere des deux fait a/ adviser se ceulx qui traictent sont ses amis ou s’il les repute/ ou s’ilz sont gens moyens non adherens d’un costé ne d’autre/ ou se simplement sont deceuz de l’autre partie/ s’il est ainsy qu’il viengne simplement de l’autre partie moult s’imposera de bon signe se fraude n’y a car ou dieu les a inspiré/ ou il appert qu’ilz doubtent [et] resoingnent la bataille. Neantmoins doit bien adviser la maniere de la demande & aussy l’offre Et pource que quant se vient grant poix porte/ la chose se conseillera avec les sages de son conseil et bien advisera sur tous les poins tant que au respondre ne se montre ignorant et qu’il n’y ait riens oublié. En laquelle responce gardent l’onneur et preu de leur prince et aussi le leur.
Il ne sera trouvé reffusant de la voye d’accord a ses bons poins raisonnablement Lequel accord ou appointement en quelque maniere ne doibt estre achevé sans la licence du prince Lequel est en escript tout par ordre la demande et l’offre demandee Car bien doit estre advisé de soy garder d’en agreer quelconques convenances aux ennemys sans licence et voulenté de luy de son conseil/ par l’exemple de ung tresbon conduiseur de l’ost rommain qui avoit esté envoyé devant la cité de magence dont il fut desconfit avec quarante mille de ses gens. Et pource que apres la desconfiture il agrea paix aux magenciens sans la licence de ceulx de romme/ ilz ne la tindrent pas Ains envoierent ledit conduiseur de l’ost rommain prins et lyé a magence et rompirent l’accord Et icy fait a regarder/ car se tu peux appercevoir que on te tiengne en parolles par loing traing trouvant aucunes choses sans necessité pour alonger temps/ saches de vray que tout est decepvance et cautelle/ en attendant aucun secours delayer sans plus la bataille/ ou affin que tes garnisons soient tandiz dissipees et que tes gens se ennuyent du long sejour et se partent pou ou pour quelque autre cause Item se ledit traictié vient de ung autre moyen si que se le pappe y avoit envoié ung legat pour mettre paix/ ou ung autre prince ou seigneur meu par bonne voulenté/ quoy que devers le prince deust estre allé premierement ou supposé que toy mesmes soyes le prince doibs a celluy moien bien declarer l’occasion/ la cause le bon droit et la juste querelle que as de mener guerre contre l’autre partie affin que ledit traicteur qui veult sans sang espandre mettre fin en ceste guerre soit advisé de ce faire telle admende et satisfacion qu’il appartient monstrant aux ennemys leur grant tort. et aussy se les ennemis dient avoir meilleur droit ne soies aveugle que voulenté te destourne a toy submettre a raison/ & se tu sens que en aucunes choses ayes droit et es autres non/ tu te doibs plus legierement condescendre a traictié et accorder partie du voulloir des autres sans ton deshonneur se mieulx ne peulx faire et que laisse aller aucune chose de ton droit. Posons encore que l’ost des ennemys fust amoindry en quantité & que la tienne fust multipliee de gens et puissance et le leur amoindry par aucune puissance autre ou quelque fortune par quoy redoubtant la bataille bien voulsissent traicter et faire paix toy faisant bonnes offres pour eulx mieulx mettre en son devoir/ et eschever effusion de sang/ ou qu’ilz fussent inspirés de vouloir faire paix et tresbon et loyal accord/ combien que leur puissance fut a la tienne assez egale/ que doibs tu faire/ te doibs tu enorgueillir/ pourtant les cuidant avoir si que d’avantage se a la bataille venoit/ par quoy nullement ne voulsisse venir/ a accord Ains plus te feroit on d’offres et plus seroies trouve rebelle et dur Certes nenny/ car a peine seroit trouvé que oncques advenist que les reffusans justes offres quelque droit qu’ilz eussent ne quelque grant quantité de gens qu’ilz fussent contre petite/ que mal ne leur en advenist au derrenier. Et semble que en tel fait dieu pugnisse iceulx reffusans/ mais vecy ou tu doibs regarder & la est le peril c’est que par traïson ne puisse estre deceu par desloyaulx moiens soubz umbre de traicter paix/ et a quoy le pourras tu congnoistre/ certainement par ses raisons pourras avoir couleur de toy douter & estre sur ta garde/ par quoy s’il est ainsi que le mouvement d’entrer en traicté/ soit venu d’aucuns des tiens par la condition de luy pourras penser quelles pourroient estre les causes qui l’ont meu a vouloir faire traicté/ car se sage est et preudomme et de juste conscience et que tu le saches bien/ tu ne te dois esmerveiller se tel homme vouldroit voulentiers trouver voye pour eschever effusion de sang par aucun bon et honnorable traicté et que paix fust/ mais s’il est homme non acoustumé de soy trouver en telz cas et lasche de courage quoy qu’il puist estre malicieux et bien parlant tu peus bien pencer que de laschetté et de couardise luy peult venir/ Mais non pourtant ne doibs tu du tout debouter ses raisons/ mais adviser se elles sont bonnes & a ton honneur et proffit.
Une aultre chose fait a considerer c’est que en bien escoutant celluy qui la voye d’accord & de traictié te conseille advise se la paix peut mieulx estre & venir a son proffit que la guerre & se en parlant il se efforce de toy mettre en couraige de faire paix Laquelle pour le grant desir qu’il a ne te soit pas bien honnorable. Ou se c’est homme couvoiteux auquel par dons ou promesses on luy eust par aventure fait dire/ a ceulx icy se savoir ne peulx tu ne dois adjouster en aucune maniere nulle foy/ mais les bouter arriere tant que tu pourras se souffisamment en es informé. Car le tresmauvais et desloyal conseilleur ne chasse tousjours fors a son proffit/ & le loyal vise plus au bien publicque que au sien propre.
Or est necessaire que durant le traictié que ainsy comme les ambassadeurs viennent vers toy de dela/ que tu y renvoies des tiens. Si doibs en ceste chose estre si bien advisé que n’en soyez deceu/ car moult y peult avoir grant peril se preudommes ne sont/ car par telz moyens et ambassadeurs plusieurs citez pays et royaumes sicomme Troyes jadiz et autres plusieurs ont esté deceuz par faulx et traytres ambassadeurs eulx monstrans estre loyaulx et bons Ne il n’est pas de pareil peril a cestuy pource que tant est couvert que a peine nul tant soit sage ne se peut de trayteur garder se par traïson a entreprins a le grever.
Contre ce peril y a meilleur remede que de y envoier des plus prochains de son sang se avec soy en a qui grant compte facent de sa mort et destruction et de tes meilleurs amis/ non pas par adventure de ceulx en qui plus te fies/ car par iceulx ont plusieurs esté deceuz/ mais de ceulx que tu auras mis en hault degré et qui perderoient se tu n’estoies & aultres de qui tu sentiras la vie et conscience bonne honnesté et loyale/ et de loyauté user en tours de guerres et batailles et que de traïson ne soient reprovez selon la sentence des bons/ bien le demonstra le tresvaillant fabricius dont tant avons parlé/ Lors qu’il estoit ost contre le roy pirus/ qui moult grevoit par ses batailles les rommains. Et le medicin d’icelluy roy pirus vint a Fabricius et luy offrit emprisonner son maistre mais que bien le voulsist guerdonner. Le vaillant homme luy respondit que ce n’estoit pas l’usage des rommains vaincre par traïson/ si le fist renvoier a son maistre lequel quant il sceut le cas dist a haulte voix. Or avant tourneroit le soleil de son cours que fabricius se partist de loyauté. Si s’en partit le roy pirrus sans donner ceste fois la bataille pour la cause de ceste grant bonté.