Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
DU RAVISSEMENT ET DES RÉVÉLATIONS
Pendant la tempête, on est quelquefois ravi en esprit, au-dessus des sens ; alors l’extatique entend des paroles ou voit des symboles qui lui découvrent la vérité et lui annoncent souvent l’avenir. Cette vérité est toujours utile, soit à lui, soit aux autres. C’est ce qu’on appelle visions ou révélations. Quand elles apparaissent sous la forme d’images et de symboles, ce sont habituellement les anges qui, par la vertu de Dieu, les suscitent devant l’homme. Si la révélation est purement intellectuelle, et ne présente avec les mondes créés que d’incompréhensibles analogies, par où Dieu se manifeste dans l’abîme, nous sommes dans l’esprit pur. Cependant nous pouvons encore parler et dire comment les choses se passent. Mais quelquefois l’homme est emporté plus haut que son esprit, non pas cependant en dehors de lui-même, dans l’incompréhensible. Comment voit-il ? comment entend-il ? Il ne peut plus nous en rien dire. C’est ce qu’on appelle ravissement. Dans cette vue absolument simple, voir et entendre ne sont qu’une chose. Cette action suprême est réservée à Dieu, qui en ce moment touche l’âme sans intermédiaire. Quelquefois un éclair brille dans la nuit noire, et l’esprit est ravi ; mais la lumière s’éteint, et l’homme revient à lui. L’action de Dieu est belle, et souvent ceux qu’elle touche deviennent des hommes de lumière. Les tempêtes de l’amour ont encore d’autres effets. Quelquefois une lumière brille, elle vient de Dieu, mais à travers un milieu quelconque. Alors l’âme et l’esprit se dressent vers la lumière ; il se fait une rencontre qui est intolérable, à cause de la joie, et quelquefois l’homme en est réduit à rien ; c’est ce que j’appelle le transport. Le transport est la joie de laquelle on ne peut pas parler. Ces choses sont inéluctables ; quand elles arrivent, il faut les recevoir.
Il est important, dans la vie spirituelle, de connaître, de dénoncer, de flétrir le quiétisme. Les quiétistes restent immobiles, et, pour jouir plus tranquillement de leur repos menteur, ils s’abstiennent de tout acte intérieur ou extérieur. Or leur repos est un attentat contre Dieu, et un crime de lèse-majesté. Le quiétisme aveugle l’homme et le plonge dans cette ignorance, non pas supérieure, mais inférieure à toute connaissance, et l’homme reste assis en lui-même, inerte et inutile ; ce repos est simplement la paresse, et cette tranquillité est l’oubli de Dieu, de soi-même et des autres. Cette paresse est exactement le contraire de la paix divine, le contraire de la paix de l’abîme, de cette paix merveilleuse pleine d’activité, pleine d’affection, pleine de désir, pleine de recherche, paix brûlante et insatiable qu’on poursuit de plus en plus après l’avoir trouvée. Entre la paix d’en haut et le quiétisme d’en bas, il y a la même différence qu’entre Dieu et une créature trompée. Épouvantable égarement ! les hommes le cherchent eux-mêmes, s’asseoient mollement au fond d’eux-mêmes, et ne poursuivent plus Dieu même par le désir, et ce n’est pas lui qu’ils tiennent dans leur repos trompeur. Voilà la vacance de l’esprit et la paresse du corps, où la nature et l’habitude font descendre, au moyen d’une pente, ces malheureux. Il y a un repos vraiment horrible, celui-là est à la portée des juifs, des païens et des pécheurs les plus ignobles ; ils se croient en paix, parce que, séparés de toute activité, ils ont imposé silence à la voix qui gronde dans l’âme. Tout homme qui se livre à un repos sans acte, sans vertu et sans recherche, se perd. Il va à l’orgueil de l’esprit, à la complaisance intérieure, et prend place parmi les incurables. L’homme, quand il s’est persuadé que la recherche de Dieu est contraire à son bonheur, quand il réside en lui-même, mène la vie la plus diamétralement contraire à l’union divine dont nous avons parlé. Toutes les erreurs sont en germe dans ce repos. Comprenez, s’il vous plaît, qu’il s’agit simplement de la chute des anges. Les anges fidèles se sont tournés vers Dieu, chargés de ses dons ; ils se sont réfugiés en lui avec toute l’ardeur d’une jouissance active ; ils ont trouvé la béatitude, le repos sans fin et sans mensonge. Mais ceux qui, se repliant sur eux-mêmes, se sont demandés le repos à eux-mêmes, ceux-là sont tombés dans le quiétisme. Entre eux et la lumière éternelle la distance s’est interposée ; ils ont été précipités dans les ténèbres et dans l’inquiétude qui ne finira pas.