Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LES TRONES
La lumière de l’essence est simple, sans fin, sans mesure ; elle entoure, elle embrasse l’unité divine, l’unité humaine et toutes les puissances ; elle entoure et elle éclaire les pentes de la profondeur, et la jouissance qui adhère à Dieu, et tous les membres du grand corps ; c’est par elle que se fait l’unité des esprits d’amour dans le transport des esprits ; les grandes eaux de l’amour affluent vers cette lumière, soulevées par des soulèvements divins. Dans cette lumière sans couleur où les esprits s’abîment, la défaillance touche les bras ; c’est là que les personnes divines jouissent de l’essence divine. C’est là que s’accomplit la transformation de la lumière simple. Le signe que l’âme reçoit de l’arrivée de Dieu, c’est une jouissance qu’elle n’était pas capable même de désirer. Quiconque est uni à Dieu reçoit les joies incompréhensibles, l’ineffable jouissance de la transformation, et cependant tous ne possèdent pas le même degré de béatitude. Le désir, l’impatience et la sublimité que vous avez eus mesurent la gloire que vous aurez. Il y a un bien commun à tous, mais les appétits et les impatiences de l’amour ont préparé à quelques-uns de particulières inondations ; et cependant ces torrents de délices restent surabondants pour tous, interminables, inépuisés. Le Seigneur Jésus lui-même, quant à son âme créée, est inondé pleinement.
Le don fait à son âme humaine dépasse les possibilités du désir de cette âme humaine ; car elle est créée, et Dieu est infini.
La charité divine, qui est une immense propriété, a d’immenses délices et d’immenses amours. Mais les délices, ignorants de la mesure, consistent dans l’essence de Dieu. Les personnes divines opèrent divinement. L’essence divine jouit d’elle-même sans mesure. Quiconque est inondé par la jouissance s’écoule, loin de soi, vers l’essence sans mesure, et s’en va dans la lumière. Car la lumière sans terme habite la jouissance sans mesure. Pendant que l’esprit s’écoule dans l’essence, il entre en possession de la lumière incompréhensible. Pendant qu’il se perd, par la grâce de l’écoulement, il s’empare des délices incompréhensibles, il possède le Dieu sans mesure, et il est possédé par lui. Dans l’essence qui ne connaît ni mesure ni mode, la défaillance suprême touche les bras et les mains. Jouissance inouïe de Dieu et des saints ! adhérence jouissante et fruitive de tous les esprits d’amour dans la simplicité de l’essence divine !
Dieu agit toujours. Dieu jouit toujours. Dans l’unité sublime de sa nature, Dieu jouit de sa propre possession. Dans la fécondité de l’unité sublime, le Père engendre incessamment le Fils qui est sa Sagesse. Du Père et du Fils procède le Saint-Esprit. L’unité est le trône de la Trinité. Elle est la victoire de la puissance du Père. La nature divine se possède parmi l’action et la jouissance, ininterrompue dans l’une et dans l’autre. Tous ceux que Dieu atteint, selon la dignité et la noblesse qui leur est départie, produisent des actes de vertu vivants et féconds à la ressemblance de la Trinité. Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde, a dit le Seigneur, parlant de ceux-là.
Ils ont eu pitié d’eux-mêmes, parce que, dans la recherche de la perfection, leur âme manquait de Dieu ! Ils ont eu pitié d’eux-mêmes parce que Dieu menaçait de manquer au rendez-vous des délices, exigé par leur amour ; ces deux miséricordes, unies à la bonté divine, les ont poussés en avant. Ils ont poursuivi la miséricorde de Dieu jusque dans le sanctuaire de la jouissance inépuisable, et coulant, loin d’eux-mêmes, dans l’abîme de la divinité, ils sont devenus les trônes de la Trinité très haute.
Les esprits angéliques qui possèdent à ce degré le royaume de Dieu sont appelés trônes, parce qu’ils possèdent le Seigneur et sont possédés par lui. Posés entre l’action et la jouissance, ils vaquent à l’une et à l’autre dans la perfection. Et tous ceux qui dans la grâce et dans la gloire atteignent par la faveur de Dieu la même activité, ceux-là sont des Trônes, ceux-là possèdent Dieu dans l’adhésion jouissante de l’essence ; ceux-là lui appartiennent comme son trône, et son repos, et sa propriété. Or l’abîme est une ignorance que l’acte intellectuel ne peut ni atteindre ni comprendre. Le Christ a parlé au Père et lui a dit : Qu’ils soient un comme nous sommes un.
Il demandait l’amour qui jouit, et l’immersion dans la ténèbre sans mesure qui absorbe et qui dévore.