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Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)

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LIVRE QUATRIÈME
L’ENFER

LE JUGEMENT

La plus terrible peine qui soit en enfer, c’est la peine du dam, c’est-à-dire la perte de Dieu.

Ceux qui l’ont librement trahi dans le temps supportent en enfer son éternelle privation, et ce tourment surpasse tous leurs tourments. Parce que, méprisant Dieu, ils ont brûlé pour les créatures d’un feu injuste, ils sont condamnés en outre au feu éternel. Le feu répond au feu. Ce feu est-il spirituel ou matériel ? Dieu le sait. Je suis porté à croire qu’il est spirituel et matériel. La Puissance absolue peut livrer une âme à un feu matériel. La troisième peine, qui est intérieure, c’est le froid éternel. Celui qui n’aime pas Dieu et qui meurt dans le froid tremblera éternellement d’un froid sans fin au plus profond de son être. Il sera glacé pour avoir méprisé l’amour vrai ; il sera brûlé pour avoir adoré l’amour faux. Le froid appelle, le froid répond. Le feu appelle, le feu répond.

Ce n’est pas tout, le damné sera éternellement enveloppé dans l’obscurité éternelle de son péché ; la lumière du dehors ne pénètre pas en enfer, sauf un rayon qui permet de voir les démons, les corps des damnés, et toute l’horreur combinée du lieu. Il y aura de plus le ver de la conscience, qui rongera sans mourir. Terrible et éternel témoin du péché et de la justice, il dira au damné : Tu pouvais être bienheureux, et tu as voulu être damné ! Ils pousseront d’horribles gémissements, des plaintes épouvantables, sans repentir. Ils ne haïront pas le péché, ce seront seulement des cris de désespoir. Ils mourront pour toujours, sans jamais avoir fini de mourir. C’est pourquoi l’enfer est appelé la mort éternelle. La mort, dit le prophète, les nourrira. Pendant que la gloire de Dieu nourrit les saints de la joie ineffable, l’enfer nourrit les damnés de désespoir éternel. La peine de désespoir est la certitude de ne pas trouver la fin de ses maux. Les supplices seront diversifiés comme les péchés. Les uns seront dessinés sur les autres.

L’orgueilleux sera foulé sous les pieds des démons et des hommes ; il fera connaissance avec l’état infime. Les flammes qui rempliront et submergeront l’avare auront la ressemblance parfaite de l’or et de l’argent fondus. Il sera comme dans des métaux liquides. Il désirera la mort, et elle fuira loin de lui. La haine des damnés les uns pour les autres dépassera toutes les haines qu’aura jamais vues la terre. Et ils seront condamnés à une éternelle cohabitation, brûlés dans la même fournaise. La fureur qui les poussera les uns contre les autres s’exaspérera jusqu’à la folie. Figurez-vous des chiens enragés se précipitant les uns sur les autres, pour se déchirer et se dévorer mutuellement. Du côté du bien, ils seront liés et enchaînés ; ils ne pourront éternellement ni le faire, ni le désirer. Les gourmands seront nourris de soufre et de poix bouillante. Je parle de ceux qui maintenant chassent Dieu de leur mémoire, demandant à leur bouche tout leur bonheur. Le feu qu’ils avaleront, déterminera en eux la sueur infernale. Je vous engage à me croire, car je sais ce que je dis. Si vous aviez un corps d’airain, et si une goutte de cette sueur vous touchait, vous fondriez. J’ai dans la mémoire un exemple effroyable.

Trois moines vivaient près du Rhin, adonnés à cette hideuse passion. Méprisant le repas des frères, ils quittaient la communauté à l’heure des repas, pour manger seuls et à l’écart ce qu’ils avaient préparé pour eux seuls. Deux d’entre eux moururent subitement. L’un d’eux fut étouffé, l’autre se noya en se baignant. L’un d’entre eux apparut au survivant et dit qu’il était damné.

Souffrez-vous beaucoup ? demanda le vivant. Pour toute réponse, le mort étendit sa main et laissa tomber une goutte de sueur sur un candélabre d’airain. Le candélabre fondit en moins d’un instant, comme la cire dans une fournaise ardente. Et une odeur tellement épouvantable se répandit dans l’air, que les moines furent obligés d’abandonner pendant trois jours le monastère. Le moine qui eut l’apparition quitta le monastère et entra chez les Franciscains. Je tiens le fait d’un autre Franciscain, qui était dans le même couvent, mais qui plus tard entra dans l’ordre de Saint-Dominique.

Je pourrais citer un autre fait relatif à la fornication ; mais j’y renonce, il faudrait prononcer des paroles qui se refusent à être articulées. Tout ce que je puis dire, c’est que l’enfer porte sur l’endroit précis où a porté le crime, et que la rigueur des tourments est exactement proportionnée à la gravité des crimes. Le feu est inextinguible ; car jamais le damné ne fera ni ne désirera le bien. Le convive qui n’a pas de robe nuptiale est jeté dans les ténèbres extérieures (S. Matth.) ; ses pieds et ses mains sont liés, car l’enfer est l’éternel oubli de la consolation. Les pleurs et les grincements de dents dont parle le Seigneur sont le cantique de l’enfer, et il ne finira pas : hurlements, rugissements de démons et de damnés, accumulation d’abominations et d’horreurs, tout y sera vu, entendu, senti.

Dans le pays de l’abîme, feu éternel, tremblement éternel, gémissements, grincements de dents, ténèbres, fumée, larmes intérieures, clameurs lamentables, vue des démons, faces ardentes des damnés, insultes, déshonneur, étouffement, sécheresse et soif, absence totale de tout bien, emprisonnement, soufre, puanteur, misère, terreur et honte, tortures épouvantables, ver rongeur, regret, fureur et rage.

Tout ceci est une certaine ombre de la réalité. Au jour du jugement l’enfer engloutira tous les damnés, et au même moment tout ce qu’il y a dans le monde entier de puanteur et de pourriture, et la gueule de l’abîme sera fermée sur leur tête ; ni homme, ni démon, personne ne sortira plus. Les issues seront bouchées, et l’éternel désespoir fera son œuvre éternelle.

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