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Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)

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L’HOMME PARLE A DIEU

Soyez béni, Seigneur mon Dieu, qui avez fait selon mon désir. Car vous m’avez donné le saint Sacrement, et mon transport vient de là. C’est là que je reçois votre corps, votre corps, mon salut, votre corps, ma joie. Manne céleste, ne pas vous manger, c’est être mort déjà. C’est la nourriture des anges ; le secret de la sagesse est de savoir la goûter. Le monde n’a pas ce secret. Il trouve loin de Dieu son plaisir ou sa douleur. Vous m’avez promis, Seigneur, que nous mangerions ensemble. Depuis ce jour, ma bouche est béante et mon désir me brûle. Car je ne peux pas vous épuiser. Plus je mange, plus j’ai faim ; plus je bois, plus j’ai soif. Toute la création réunie n’épuiserait pas cette chose qui me reste à dévorer. Vous êtes, Seigneur, un hôte libéral. Vous rendez ce qu’on a dépensé de vous. Je bois avec transport ce sang qui donne la vie, ce sang qui coule de la plaie glorieuse ; sa douceur est inouïe dans mon gosier. Je suis à peu près ivre, et je ne veux pas le cacher. Votre sang, Seigneur, est plus délicieux que les fruits délicieux des climats chauds. Voici mes vases, remplissez-les. Je serai magnanime et audacieux. Je suis rempli, et je désire. J’ai faim dans mon abondance : car je ne peux pas épuiser mon trésor. Quoi que vous me donniez, ce que je possède est peu pour moi ; ce que je désire, c’est ce qui m’échappe. Mon désir suit et poursuit. Mais ce qui a une mesure ne peut atteindre ce qui n’en a pas. Ce qui est enchaîné à une dimension, et ce qui manque de dimension, sont toujours deux choses. Il y a entre vous et moi une diversité invincible. Jamais l’un de nous ne supprime l’autre.

Voici que l’Esprit touche notre esprit de son doigt, et il lui dit dans sa profondeur : Aime-moi comme je t’aime, comme je t’aimais éternellement. Or cette voix, cette prière, cette exigence intérieure est si horrible à entendre, que vous êtes secoué tout entier par la tempête de l’amour, et toutes les puissances de l’âme, ébranlées et tremblantes, se tournent les unes vers les autres d’un air interrogateur : Aimons-nous, disent-elles, aimons-nous l’éternel amour, l’amour sans épuisement ?

Qu’est-ce que l’amour en soi ? personne n’en sait rien. Mais quelques-unes de ses actions sont connues. L’amour donne plus qu’on ne peut recevoir, et exige plus qu’on ne peut donner. L’exigence de l’amour est un feu dévorant. Le corps participe aux impatiences de l’âme. L’esprit brûle dans une avidité consumante. Cette avidité béante recueille l’esprit dans la paix simple de la profondeur.

Là commence la contemplation intellectuelle, et l’amour, qui perd la mesure, pour atteindre la consommation. La contemplation intellectuelle et l’inclination de l’âme sont des harmonies célestes, sans paroles et sans notes. Sans regarder en arrière, elles s’avancent vers la vie éternelle, gardant l’immense accord de l’Église universelle et de la communion des saints.

Dieu est éternel, incréé, béatitude absolue de soi-même et des autres, essence superessentielle, enfouie sous toute essence, béatitude des bienheureux, premier objet des esprits élevés jusqu’à la nudité. Béatitude nue et suressentielle qui embrassez les personnes divines, par la vertu de l’extase, vous embrassez les esprits, ravis au-dessus d’eux-mêmes, vous les embrassez dans la paix très simple, plus haut que les essences et les distances, dans l’altitude ignorante du temps, et de l’avant et de l’après, et de la route et du sentier, et de la possession et de la convoitise, et du donner et du recevoir, et du bien et du mal, et du lourd et du léger, et de la lumière et des ténèbres, et du jour et de la nuit, et de tout ce qui est abordable à la parole humaine. C’est là qu’on meurt en Dieu, et que la vie s’enfouit dans le Christ. Ceux qui chercheront sur terre notre maison ne la trouveront plus. Car, au-dessus du créé, nous nous sommes envolés, avec l’Esprit de Dieu, dans l’essence suressentielle, dans la béatitude simple, qui est son secret à elle-même. La paix de l’essence suressentielle est inaccessible à tout ce qui n’est pas illustré de la lumière divine, et ravi par la main de l’extase au-dessus de sa nature.

Dieu, par sa nature, est la paix suprême. Connaître, aimer, vouloir, telle est son action, et son action est sa substance. Pour lui, ni passé, ni avenir ; tout est présent, béant et nu. Paix de l’essence ; activité de la nature ; repos et fécondité absolue. C’est pour cette dignité qu’il a fait les hommes et les Anges. Son don c’est son royaume, et son royaume c’est lui-même, et il est propre à nous, si nous ne vivons que pour lui. Le ciel, la terre et toute créature sont là pour nous. Il nous a donné la raison, et au-dessus de la raison, la liberté de l’esprit nu, dépouillé de vêtements et d’images, et si nous adhérons à lui par la grâce du transport, c’est l’unité qui nous attend dans l’éternel et suressentiel amour. Voilà la vie contemplative, offerte aux hommes libres, aux adhérents de Dieu seul, et il demeure en eux, et ils demeurent en lui.

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