Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LE DON D’INTELLIGENCE
Quand l’homme a senti l’attrait intérieur du Père, quand il a été illuminé par le Fils et embrasé par le Saint-Esprit, il a conquis la ressemblance divine. Mais voici le moment de croître dans cette similitude. Vous avez beaucoup reçu : mais vous pouvez recevoir encore mille fois davantage. L’intelligence ne peut être illuminée au point de n’avoir plus à désirer de lumière, ni l’âme embrasée au point de n’avoir plus à désirer d’amour.
L’homme a été créé de rien. C’est pourquoi il poursuit ce rien, qui n’est nulle part, et, dans cette poursuite, il s’écoule si loin de lui-même, qu’il perd sa propre trace ; plongé dans la simple essence de la Divinité, comme dans son fond propre, il s’en va mourir en Dieu. Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur.
Dieu adhère à son essence, dans la jouissance qui l’a d’elle-même, et contemple ce dont il jouit.
Dans notre jouissance, la lumière divine succombe, parmi les ténèbres sacrées de l’ignorance suressentielle. Mais dans la contemplation, la vision ne succombe pas. Notre contemplation et notre jouissance seront également éternelles.
Ceux qui sentent les défaillances de la lumière sont ceux-là mêmes qui se sont réfugiés, bienheureux et sublimes, dans la très vaste solitude de la Divinité, où le Seigneur se possède et jouit de son essence. C’est là que la lumière tombe en défaillance ; car l’essence divine ignore la mesure humaine. Ceux-là sont les tabernacles du Seigneur, ensevelis en lui, et jouissant à jamais.
Cette mort n’est qu’un point de départ, d’où s’élance la vie contemplative, et voici le don de l’intelligence.
Dieu contemple éternellement son essence dont il jouit : mais, quand il confère à quelqu’un sa ressemblance, il lui prête l’amour, les impatiences de l’amour. Il donne la paix quand il s’unit.
La lumière par laquelle nous contemplons est immense ; l’objet même de la contemplation est quelque chose de neutre et d’interminé ; c’est l’abîme sans fond ni forme ; c’est pourquoi ces deux choses ne peuvent être saisies l’une par l’autre. Mais le regard de la contemplation, perdu dans l’ignorance superessentielle, demeure sur la face glorieuse d’où la joie coule, sur la face de la très haute Majesté, non loin du ciel où le Père, à la lumière de sa sagesse, contemple son essence infinie et inépuisable.
Le plus grand des contemplateurs passés, présents et futurs, fut le Christ ; je parle ici de son humanité, hypostatiquement unie à la personne du Fils. Mais je vous supplie de remarquer qu’il fut toujours au service des hommes, et que jamais sa vision ineffable et perpétuelle ne diminua sa charité et son activité extérieure. Car la sublimité du don d’intelligence consiste dans l’activité unie à la contemplation ; c’est de là que procède la liberté.
Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu.
Oui, bienheureux, bienheureux ceux à qui se montre, parmi les labeurs de la vie, la nudité superessentielle, dans la contemplation sublime et déiforme.