Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
AU SOMMET DE L’AMOUR
Au-dessus de la connaissance, je sens, je découvre, je surprends un abîme d’ombre, sans fond et sans bornes au-dessus des qualités, au-dessus des noms de la créature, au-dessus des noms de Dieu : voici la mort, l’excès de la transcendance, et l’évanouissement de la sublimité dans l’Éternel inexprimable, c’est l’espérance de la paix, sentie au fond de nous, supérieure aux mondes du dehors : au-dessus du monde des esprits, c’est la béatitude infinie, immense, le point central où tout est un, c’est le sommet des possibilités de la créature ; c’est l’abîme de la superessence, où les esprits bienheureux, toujours distincts, mais toujours noyés, sont aperçus par l’œil noir de la contemplation qui voit, dans la nuit de la nuée, Père et Fils, et Saint-Esprit, Trinité de personnes, unité d’essence, essence de paix éternelle et simple. Et si nous étions exaltés dans son altitude, nous serions, par sa grâce, béatitude en elle, activité éternelle, fécondité immense des trois Personnes, qui sont divinité et béatitude dans la simplicité de leur essence, activité éternelle et éternel repos, amour et jouissance parmi l’activité et la paix ; l’amour est affamé d’agir, il est une activité éternelle et divine. La jouissance vaque à l’éternelle paix dans l’embrassement de l’amour, sans vêtements et sans forme.
Quand nous adhérons à Dieu par amour, nous sommes esprit ; mais quand c’est lui qui ordonne à l’extase de nous emporter, nous sommes jouissance. Tantôt l’esprit nous entraîne au dehors vers l’action extérieure, tantôt il nous repousse au dedans vers la paix intérieure ; les excès de l’esprit noyé dans sa joie, et toutes les activités extérieures de la charité la plus pratique sont les puissances qui poussent l’homme vers la rénovation perpétuelle de toute justice et de toute vertu. Ainsi l’aspiration et l’expiration entretiennent la vie du corps. Ainsi l’homme ouvre à chaque instant les yeux et les ferme trop rapidement pour s’en apercevoir. Ainsi nous mourons en Dieu, nous vivons de Dieu ; ainsi la vie et la mort subissent la loi de la même unité… Tous les esprits célestes sont autant de charbons ardents qui ont pris feu au grand autel. C’est là que nous serons avec le Père et le Fils, dans l’unité du Saint-Esprit, l’incendie de l’éternité ; c’est là que ce Dieu sans nom, dans la ténèbre immense, très simple et inqualifiable, sera pour nous et pour lui substance et béatitude. Le Père engendre son Fils, sa sagesse éternelle, deuxième personne de la Trinité, dans l’unité d’essence, le Fils, le Verbe, par qui tout a été fait. Or, le Saint-Esprit, troisième personne, procède de l’un et de l’autre, et il est l’amour de l’un pour l’autre ; amour infini par lequel ils s’embrassent de l’embrassement infini. Un seul Dieu en trois personnes qui nous embrasse dans l’unité du même amour. Unité dans la Trinité, Trinité dans l’unité. Dieu tout-puissant, souverain de la hauteur suprême, qu’il faut chercher, poursuivre et posséder, par la grâce de Jésus-Christ, avec la sincérité d’un amour sans mensonge : vivre en lui, et lui en nous ; vivre avec tous les saints, adhérer à la collection de l’amour : c’est là que le Père et le Fils nous embrassent dans l’unité transformante de l’Esprit où nous attendent l’amour de Dieu et sa jouissance ; jouissance couronnée dans l’essence sans mesure. Je ne suis plus capable de parler d’aucune réalité perceptible : voici le simple, l’infini ; de la perte, voici que je fonds et que je m’écoule dans la ténèbre sacrée. Voilà le sublime de la vie, le sublime de la mort, le sublime de l’amour, le sublime de la jouissance, le sublime de l’éternité.
Priez Dieu pour celui qui vient d’écrire ceci par sa grâce. Priez pour tous ceux qui me liront. Que Dieu se donne à nous largement et éternellement. Amen.