Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
SIMPLICITÉ D’INTENTION
Quelle est la route pour aller au-devant du Seigneur ? La route de la ressemblance plus parfaite et de l’unité plus jouissante ? tout acte de bonté, fût-il imperceptible, si la simplicité d’intention le rapporte à Dieu, augmente en nous l’image divine, et fait abonder sa vie éternelle. La simplicité d’intention rassemble dans l’unité de l’esprit les forces dispersées de l’âme, et unit à Dieu l’esprit lui-même. C’est la simplicité d’intention qui rend à Dieu honneur et louange ; c’est elle qui lui présente et lui offre les vertus. Puis se pénétrant et se traversant elle-même, traversant et pénétrant tous les lieux, toutes les créatures, elle trouve Dieu dans sa profondeur. Elle est le principe et la fin des vertus, leur splendeur et leur gloire. J’appelle intention simple celle qui ne vise qu’à Dieu, rapportant toutes choses à Dieu, suivant l’ordre et la vérité. Elle met en fuite toute feinte, toute hypocrisie et duplicité. Dans toute action possible, c’est la simplicité qui doit être retenue, exercée et cultivée par-dessus tout. C’est elle qui place l’homme en présence de Dieu, c’est elle qui lui donne lumière et courage, c’est elle qui le rend vide et libre, aujourd’hui et au jour du jugement, de toute crainte étrangère et vaine. Elle est cet œil simple, dont le Seigneur se souvient, illustrant tout le corps, c’est-à-dire toute sa vie active, et la délivrant du mal. Elle est la pente intérieure de l’esprit éclairé, elle est le fondement de toute sa vie spirituelle. Confiante en Dieu et fidèle à lui, elle embrasse entre ses bras espérance et charité. Elle foule aux pieds la mauvaise nature, elle donne la paix, elle impose silence aux bruits vains qui se font en nous. Elle est la santé des vertus, elle est paix, espérance, confiance, maintenant et au jour du jugement. Par elle nous demeurerons avec grâce et ressemblance dans l’unité de l’esprit, allant au-devant du Seigneur par la route des vertus. C’est elle qui lui offrira toute notre activité vivante, augmentant d’heure en heure notre ressemblance divine.
Et puis, au-delà des intermédiaires et au-delà de nous-même, c’est elle qui nous transportera dans la transcendance de la profondeur où Dieu réside, et qui nous donnera le repos de l’abîme. L’héritage que l’éternité nous a préparé, c’est la simplicité qui nous le donnera.
Toute la vie des esprits, toute leur activité et toute leur vertu consiste, avec la ressemblance divine, dans la simplicité d’intention, et leur repos suprême se passe sur la hauteur, dans la simplicité aussi, dans la simplicité d’essence. Les esprits possèdent à différents degrés vertus et ressemblance ; à différents degrés ils possèdent eux-mêmes leur propre essence au fond d’eux-mêmes, suivant leur dignité. Mais Dieu suffit à tous, à tous et à chacun, et, suivant la mesure de son amour, chaque esprit possède une recherche de Dieu plus ou moins profonde, dans sa propre profondeur.
Caché sous cet attouchement, le Christ dit à l’esprit : Sors de toi-même. Agis dans la profondeur.
Or, cet attouchement très profond invite l’âme et l’attire dans sa propre intimité, aussi intérieurement qu’il est permis à une créature de s’exercer intérieurement. Mais, par la vertu de l’amour, l’esprit se soulève au-dessus des mouvements dans l’unité elle-même, d’où sort en bouillonnant la flamme vive qui le touche. Or cet attouchement a des exigences. Il exige de l’intelligence qu’elle connaisse Dieu dans la clarté qu’il produit. Il exige de l’amour qu’il jouisse de Dieu sans intermédiaire. C’est que l’esprit désire d’un désir suprême naturellement et surnaturellement. C’est pourquoi, se soulevant par la vertu de son regard intérieur, il rentre en lui-même et contemple, dans son propre abîme, le sanctuaire où il est touché. Toute raison et toute lumière vive se sentent ici en défaut et refusent d’avancer. Car la clarté suréminente, d’où l’attouchement tire son origine, aveugle tous les regards créés, étant immense et infinie ; et toute intelligence vive, appuyée sur une lumière créée, se conduit comme un hibou sous la splendeur du soleil. Mais voici que l’esprit subit une autre excitation et une autre exigence ; c’est Dieu d’une part, et, d’autre part, c’est lui-même qui lui ordonne à lui-même de scruter l’attouchement, de le pénétrer, de l’interroger : Qui es-tu ? et qu’est-ce que Dieu ? Alors l’esprit se lance à la recherche de l’inconnu, et, poursuivant dans sa source la flamme qui bouillonne en lui, il se livre avec avidité à cette terrible inquisition. Mais il cherche, sans trouver ; je ne sais ce que c’est, dit la contemplation.
Il y a de ce côté-là une clarté suréminente que le regard ne rencontre pas sans être saisi, brisé et aveuglé. Cette clarté se comporte avec une hauteur qui domine tout esprit, au ciel et sur la terre. Mais ceux qui, par la profondeur de l’acte interne, ont scruté et percé leur propre abîme, pénétrant jusqu’à son fondement, qui est la porte de la vie éternelle, ceux-là peuvent sentir l’attouchement. Cependant la lumière de Dieu brille dans une telle immensité, que l’esprit en défaillance, incapable de faire un pas en avant, cède, bon gré, mal gré, aux éblouissements de l’incompréhensible. La raison et l’intelligence, restent à la porte. Mais l’amour, qui a été aussi appelé, l’amour, qui a reçu un ordre quoique aveuglé comme les autres, veut absolument avancer ; car il a gardé, dans sa cécité, l’instinct de jouir. Aussi, quand l’intelligence, à bout d’efforts, reste dehors, l’amour dit : Moi j’entrerai !