Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LA SORTIE DE L’ESPRIT
Sortez. C’est Dieu qui parle. Il a dit : Me voici. Maintenant il dit : Sortez. Il parle dans l’ombre à l’esprit qui fond et qui s’écoule. Sortez, allez-vous-en vers la contemplation ; allez-vous-en vers la jouissance divine. Les richesses immenses que Dieu a par nature, nous pouvons les avoir par la vertu de l’amour, par sa résidence en nous, par notre résidence en lui, par la grâce de l’Esprit saint, en qui le désir est assouvi, quel qu’il soit. C’est par la vertu de cet amour immense que nous possédons la joie de mourir à nous-mêmes et de sortir de notre prison, fondus dans l’océan de l’essence et dans la ténèbre brûlante. C’est là que l’esprit, dans l’embrassement de la Trinité, habite la suressence, se repose, agit et jouit. Le Père est dans le Fils, le Fils dans le Père, portant toute créature. La relation personnelle de Père, la relation personnelle de Fils, se distingue dans l’unité féconde de la nature divine. Activité éternelle sans commencement ni fin, principe sans principe. Le Père se contemple lui-même pleinement et parfaitement dans l’abîme de sa fécondité, et voici que, par l’acte même de se comprendre, il engendre une autre personne, le Fils, son Verbe éternel. Le type de toutes les créatures, qui n’étaient pas encore sorties du néant, résidait éternellement dans l’Éternel engendré, et Dieu les voyait et les contemplait dans leur type, mais en lui-même. Car il n’y a rien en Dieu qui ne soit Dieu. Cette vie éternelle que nos types possèdent sans nous en Dieu sont, je pense, notre raison d’être essentielle. Elle est la cause de notre création. Notre essence créée est un effet qui demande à rejoindre son principe. Cet Être éternel que les types possèdent en Dieu, cet Être éternel est Dieu ; il persévère éternellement. Dieu se contemple d’un simple regard, sans avant ni après, dans un maintenant éternel. Or la sagesse de Dieu est la splendeur du Père et le type éternel des êtres, sur lequel sont dessinées les créatures au jour de leur création. Dieu se voit et voit tout dans son Verbe comme dans un miroir. La Trinité nous a créés à son image, d’après l’exemplaire éternel de nous-mêmes, qu’elle possédait dans son sein, avant que le monde fût. C’est pourquoi Dieu veut que, délivrés de nous-mêmes et introduits dans la lumière éternelle, nous tendions les bras vers le type divin, qui est le nôtre, qui est notre exemplaire, qui est notre raison d’être, et que nous le possédions dans l’éternelle activité et dans la jouissance éternelle. Le sein du Père est la source de l’être. La splendeur du Père est la génération du Fils ; tous les types sont manifestés au regard du Père. Tout ce qu’il a et tout ce qu’il est, le Père le donne au Fils, excepté la relation personnelle de Père, qui est particulière à lui et éternellement incommunicable. Tout ce qui est caché et latent dans l’unité du Père parvient à la lumière dans la génération du Fils. Notre type réside éternellement dans l’ombre sacrée ; mais une immense lumière nous révèle et nous manifeste en Dieu. Or, l’effort de la contemplation, c’est l’effort du contemplateur vers son type éternel. Volant de clartés en clartés, il aspire, les bras tendus, à rejoindre cet exemplaire incréé, d’après lequel il a été créé. Il s’élève au-dessus de lui-même pour monter vers son modèle. Or cette contemplation est une sublimité féconde. Cette possession de soi, cette liberté absolue ouvre à l’homme, avide de perfection, des horizons inespérés. L’homme reste en lui, actif et libre, dans le plein exercice des vertus ; mais la contemplation a un acte extérieur plus haut que toute vertu et que toute dévotion : c’est l’acte par lequel elle se possède. La contemplation superessentielle possède, d’une certaine manière, la couronne vers laquelle elle aspire. Si nous étions délivrés de notre misère, il est clair que, plus aptes à recevoir la lumière dans notre substance créée, nous serions irradiés et pénétrés par la gloire de Dieu avec une magnificence dont nous ne nous doutons pas.
La mesure transcendante qui passe toute mesure est la seule mesure que connaisse l’esprit, quand, sorti de lui-même, il s’en va, par la vertu de la lumière transformante, dans les domaines sublimes de l’éternelle contemplation. Quand l’amour s’est laissé ravir au-dessus de sa substance créée par la jouissance transcendante, il trouve et goûte sur la montagne les magnificences et les délices que Dieu fait rouler dans les sanctuaires intimes de la vie, imprimant sur l’âme ravie une certaine image de sa majesté.