Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LE PETIT CAILLOU ET LE NOM NOUVEAU
Au vainqueur, dit le Saint-Esprit dans l’Apocalypse, je donnerai la manne cachée, et un caillou blanc, et sur le caillou un nom nouveau, qui n’est connu de personne, excepté de celui qui le reçoit.
Le vainqueur, c’est celui qui a traversé et dépassé lui-même et toutes choses. La manne cachée, c’est un sentiment intérieur, une joie céleste. Le caillou est une petite pierre, si petite qu’on la foule aux pieds sans douleur. (Calculus, caillou ; calcare, fouler.) La pierre est blanche et brillante comme la flamme, ronde, infiniment petite, polie sur toutes les faces, étonnamment légère. Un des sens que présente ce caillou pourrait être le symbole de Jésus-Christ. Jésus est la candeur de la lumière éternelle ; il est la splendeur du Père ; il est le miroir sans tache, en qui vivent tous les vivants. Au vainqueur transcendant ce caillou blanc est donné, portant avec lui vie, magnificence et vérité. Le caillou ressemble à une flamme. L’amour du Verbe éternel est un amour de feu ; ce feu a rempli le monde, et il veut que tous les esprits brûlent en lui. Il est si petit, ce caillou, qu’on peut le fouler aux pieds, sans le sentir. Le Fils de Dieu a justifié l’étymologie du mot calculus. Obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix, il s’est anéanti. Non plus homme, mais ver de terre, opprobre du genre humain, et mépris de la populace. Il s’est mis sous les pieds des Juifs, qui l’ont foulé sans le sentir. S’ils eussent reconnu Dieu, ils n’eussent pas dressé sa croix. Il y a plus : aujourd’hui, Jésus est petit et nul dans tous les cœurs qui ne l’aiment pas.
Cette magnifique petite pierre est ronde et égale à elle-même sur toutes ses faces. La forme ronde, la forme de la sphère rappelle la vérité éternelle sans commencement ni fin. Cette égalité d’aspect que présente de tous côtés la forme sphérique, indique la justice qui pèsera tout avec équité, rendant à chacun ce qui lui est dû. Ce que donnera la petite pierre, chacun le gardera éternellement.
Ce caillou est extraordinairement léger. Le Verbe éternel ne pèse rien ; il soutient par sa vertu le ciel et la terre. Il est intime à chacun, et n’est saisi par personne. Jésus est l’aîné des créatures, et son excellence les surpasse toutes : il se manifeste à qui il veut, là où il va porté par sa légèreté immense ; notre humanité est montée par-dessus tous les cieux, et s’est assise à la droite du Père.
La pierre blanche est donnée au contemplateur : elle porte le nom nouveau que celui-là seul connaît, qui la reçoit.
Tous les esprits qui se retournent vers Dieu reçoivent un nom propre. Le nom dépend de la dignité plus ou moins excellente de leurs vertus, et de la hauteur de leur amour.
Notre premier nom, celui de notre innocence, celui que nous recevons au baptême, est orné des mérites de Jésus-Christ. Si nous rentrons en grâce, après l’innocence baptismale perdue, nous recevons du Saint-Esprit un nom nouveau, et ce sera un nom éternel.