Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LE PROPITIATOIRE
Je vais essayer de dire comment la jouissance de Dieu est accessible aux hommes de cette vie. Voici la figure de la gloire. Sur l’Arche d’alliance était placée la table faite d’or très pur. Elle s’appelait le Propitiatoire, parce que c’est de là que le Seigneur rendait réponse au peuple, et lui découvrait le remède de ses maux. Cette table était l’intime du tabernacle, et figurait le lieu de propitiation divine. Elle était de même largeur et de même longueur que l’Arche, de façon à la couvrir. Elle était posée sur la couronne d’or.
Le Propitiatoire est l’image de l’amour en jouissance, en joie et en gloire, principe et fin de tout bien et de toute grâce. Il est posé sur la couronne d’or ; car il est supérieur à l’embrassement même qui étreint Dieu et l’homme. Cet amour excède tout. Il n’a ni mesure, ni fond, et ses manifestations sont toutes au-dessous de lui. Il a deux coudées et demie de longueur.
La première est le lieu de la paix profonde où Dieu se manifeste au sommet de l’esprit.
La seconde, qui suit immédiatement, c’est la fusion de l’esprit qui s’abîme dans la joie de l’essence. Cette fusion est exempte de mesure et de retour. C’est la jouissance sans repentir. L’esprit meurt à lui-même en Dieu, dans la simple expérience de la béatitude. Sa jouissance est un acte intime qui va toujours en avant. L’activité extérieure va et revient. La jouissance essentielle est la paix du fond, qui ne sait ce que c’est que de bouger. Voilà la longueur des deux coudées. Dieu se verse largement dans l’abîme profond de l’esprit. Puis l’esprit se soulève au-dessus de lui-même, et, par la vertu du transport, ne se sent plus ailleurs que dans la béatitude. Le Propitiatoire couvre l’Arche d’alliance, c’est-à-dire qu’il protège dans notre âme l’union divine. Mais il reste encore une demi-coudée.
Quoique la jouissance de la possession soit immobile en elle-même, cependant la flamme et la fusion se renouvellent à chaque minute en présence de l’amour qui jouit. Cette demi-coudée est la figuration de la joie que l’amour a trouvée dans la paix de l’abîme. C’est le regard que l’esprit jette sur la jouissance. La largeur du Propitiatoire est d’une coudée et demie.
La première coudée est entière ; car l’amour rend témoignage à l’esprit, dans l’acte suprême de sa jouissance, que tout est accompli. Il est le témoin de sa perfection ; car, dans la jouissance essentielle, quoique la distinction demeure infinie, il ne sent aucun obstacle entre lui et son objet. Il a la conscience de son intégrité. L’esprit s’étend et se dilate dans la largeur de l’amour essentiel, ravi par sa propre flamme dans le feu du ciel qui ne finit pas. La béatitude de chaque esprit correspond à sa sainteté. Mais la béatitude superessentielle, qui est le fonds commun et le trésor public, est un abîme simple : c’est une inépuisable impénétrabilité. Et voilà la demi-coudée, et nul ne peut compléter celle-ci. Chacun remplit ses vases. Mais la béatitude simple demeure surabondante en soi, et son infini ne s’entame jamais. Je puise, et j’ai soif. Dans la jouissance suressentielle, j’abonde : je suis rassasié, et j’ai faim à jamais. C’est une faim sans apaisement que l’abondance ne termine pas. Elle est éternelle. Voilà la demi-coudée que nul ne complétera : cette demi-coudée achève la largeur du Propitiatoire ; car la faim éternelle est la perfection de notre béatitude.