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Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)

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LIVRE SIXIÈME
SAMUEL

SAMUEL

Dans la paix de l’essence, quand l’amour nous a fait le don de l’unité, je vois poindre la contemplation superessentielle, et un mode de sentir superessentiel trop excellent pour être exprimé : c’est le secret de vivre dans la mort et de mourir dans la vie, plongés plus haut que notre essence dans notre béatitude superessentielle ; c’est le moment où Dieu nous a conféré l’empire sur nous-mêmes, et la puissance de nous dépouiller des images toutes les fois que nous nous en donnerons l’ordre, pour entrer dans la paix de l’essence où l’union divine nous attend dans l’abîme d’amour. L’action de Dieu en nous ne nous confère avec Dieu ni l’unité d’essence ni l’unité de nature, mais l’unité d’amour. Cependant nous sommes bienheureux, nous sommes même béatitude dans l’essence divine, quand Dieu jouit de lui et de nous sur les hauteurs de lui-même, parmi l’amour immense, et la ténèbre sacrée et la nuit noire sans dimension. Or cette nuit noire c’est la lumière inaccessible où se recueille la nature divine, dans la béatitude essentielle à lui, superessentielle à nous, où Dieu jouit de lui-même. Par la vertu de l’amour, nous sommes abîmés et absorbés dans sa jouissance : là nous nous perdons, non pas quant à notre substance, mais quant au sentiment de joie. L’amour de Dieu et le nôtre sont fondus dans la même jouissance, quand son esprit a absorbé notre amour dans sa béatitude essentielle. Quand je parle d’unité entre Dieu et l’homme, j’ai déjà dit, et je le répète, qu’il ne s’agit ni d’unité de nature, ni d’unité d’essence, mais d’unité d’amour. Je veux insister sur ce point. L’essence de Dieu est incréée, la nôtre est créée ; l’abîme est infranchissable, la distinction est éternelle. Jamais les prodiges de l’amour ne l’effaceront ; jamais les transports de l’union ne produiront l’unité de la nature. Nous nous perdons quant aux transports de jouissance ; mais si nous nous perdions quant à la substance, si nous étions anéantis, dans un certain sens de ce mot, dépourvus de connaissance et d’amour, nous serions incapables de béatitude. Notre essence est une solitude immense, un désert à perte de vue, où Dieu vit et règne ; or nous sommes condamnés à errer dans ce désert, à moins que l’amour ne nous enlève plus haut que nous-mêmes dans le sein de Dieu. Nous pouvons donc être heureux dans notre essence, si nous vivons dans l’amour. Nous sommes même béatitude en Dieu, si l’amour nous a donné la mort par la vertu de la jouissance. Nous vivons en nous par amour, nous mourons en Dieu par jouissance ; c’est une mort vivante et une vie mourante, car nous vivons avec Dieu et nous mourons en lui. Bienheureux les morts qui vivent et meurent de cette vie et de cette mort, héritiers du Seigneur et de son royaume éternel.

Je vous supplie tous de prier pour tous ceux qui ont été mes maîtres, pour tous ceux qui ont travaillé et écrit pour m’instruire. Priez du fond de vous-mêmes, dans la vérité, pour tous ceux qui m’entendront ou me liront moi-même. Oh ! qu’ils soient tous les élus de la grande éternité, où ils loueront le Seigneur dans les siècles des siècles !

Que Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous donne la gloire et la couronne éternelle ; là est la vie qui ne finira pas, et la joie sans défaillance et la possession de Dieu. Des splendeurs inconnues, la lumière des yeux de Jésus, des voies prodigieuses, des harmonies qui n’ont pas de nom ! Bondir à jamais, être sorti de soi-même par un excès éternel ! Voir la face du Seigneur, la beauté infinie, y puiser la joie et la gloire ! Être libre, ne rien craindre, tout oser ! Régner avec Dieu, être placé de sa main sur un trône éternel ! Vaquer librement à l’éternel amour, sentir qu’il se donne à nous, et demeurer à jamais en lui ! Aimons-nous les uns les autres, pour obtenir sa grâce, pour jouir de sa familiarité. Servons-le, obéissons ; car Dieu n’est pas seulement très puissant, il est tout puissant dans la Trinité des personnes ; il est digne vraiment d’un amour éternel. Il est digne d’une louange éternelle, et bienheureux ceux qui sont affamés de lui. Oh ! que le jour arrive, le jour du grand désir, le jour du grand amour, où, affamés pour toujours et rassasiés pour toujours, nous serons plongés dans la jouissance, dans la jouissance qui ne finit pas ! Amen, amen ! Oh ! que toute créature prenne une voix pour dire : Amen, amen, amen !

Si nous voulons vivre au sommet de la vie, il faut que l’âme et l’esprit soient divisés ; il faut que l’esprit, au-dessus de la raison, au-dessus des images, au-dessus de l’exercice des vertus, fixe son regard nu sur la lumière divine, et, regardant au fond de soi jusqu’au centre de l’intérieur, adhère à Dieu par l’amour nu. Ici la distance se sent encore ; mais dès que le transport d’esprit nous a entraînés sur la hauteur sans sommet, établis dans l’unité essentielle, et immobiles en Dieu, nous y trouvons l’éternel repos et l’activité éternelle. Voilà la vie sans fatigue.

Ceci est peut-être la plus haute manifestation de vie déiforme en nous ; c’est le premier mouvement de l’esprit se précipitant sur la montagne sans sommet dans la liberté de l’amour nu. Le second mouvement se fait en bas ; il nous précipite dans un tel mépris de nous-même, que nous plongeons au-dessous de tous les mortels, au-dessous de toutes les mesures de l’humilité, qui ne sont pas capables de nous tranquilliser l’âme, que nous nous plongeons dans un regard intérieur et que nous nous abîmons dans la profondeur insondable de Dieu, au-dessous de laquelle il n’y a rien. Et alors, dans l’humilité de l’abîme, nous constituons un royaume où Dieu vit et règne en nous, et nous avec lui plus bas que les mondes. Le second mouvement de l’esprit est une abnégation dans la profondeur interminable et infinie de Dieu ; ce sont ces deux mouvements par lesquels l’esprit se sépare de l’âme. Et pourtant ce ne sont pas deux substances distinctes, ils vivent d’une seule vie ; mais l’âme habite dans la grâce, dans la mesure, dans l’exercice des vertus.

L’esprit, au-dessus de la raison et de la vertu, est uni à Dieu dans l’amour nu qui ne se souvient plus des formes et des images.

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