Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
DU DÉSIR DE VOIR
Quand l’âme a rapporté toutes ses actions à la gloire de Dieu, quand elle est parvenue à la vraie vie, elle sent en elle un aiguillon, une pointe, un désir de voir à peu près quel est son Époux et de quelle sorte est Celui qui s’est fait homme pour elle, qui est mort pour la sauver, et qui s’est donné à elle. Ce Jésus, qui, en quittant la terre, lui a laissé des sacrements et qui a promis son règne ; ce Jésus toujours prêt à fournir au corps ses nécessités, à l’âme ses consolations, ce Jésus, de quelle sorte est-il ? Et l’âme, pleine de questions, sent grandir en elle le désir de voir l’Époux et de savoir comment il est, comment il est en lui-même. La connaissance telle quelle, que ses ouvrages peuvent donner de lui, ne contente pas l’âme. Alors elle fait comme Zachée, ce publicain qui voulait voir, elle va au devant, loin de la foule, loin de la multitude des créatures, multitude qui nous rapetisse et nous dérobe la vue du Christ ; elle monte au haut de l’arbre de la croyance qui a sa racine en Dieu, et qui étend ses douze rameaux (les douze articles). Les rameaux inférieurs s’étendent vers l’humanité de Jésus et vers le salut du monde ; les rameaux supérieurs parlent de Divinité, de Trinité, d’Unité. L’âme monte, comme Zachée, au haut de l’arbre ; car le Christ va passer avec tous ses dons. Arrivée au sommet, elle aperçoit le Fils de l’homme ; mais la lumière lui dit : voilà la Divinité immense, incompréhensible, inaccessible, et toute lumière créée reste en arrière ; voilà l’abîme sans fond. Et l’âme arrive à la plus haute connaissance de Dieu qui soit permise ici-bas, c’est-à-dire à l’ignorance, et à l’aveu qu’elle ne comprend pas.
Mais au centre de la lumière, au centre du désir, le Christ parle et dit : Descends vite, il faut qu’aujourd’hui je m’installe chez toi. Cette descente rapide que Dieu exige est simplement une immersion dans l’abîme de la Divinité que l’intelligence ne comprend pas ; mais là où l’intelligence s’arrête, l’amour avance et entre. Quand l’âme, ayant dépassé l’intelligence, s’incline et se plonge, alors elle demeure en Dieu, et Jésus-Christ réside en elle. Quand elle est descendue dans la profondeur inaccessible aux créatures, marchant dans la lumière de la foi, elle va au-devant de Jésus, et, inondée de sa splendeur, elle comprend avec surabondance l’impossibilité où elle est de le comprendre. Toutes les fois que le désir vous plonge dans le Dieu incompréhensible, vous allez au-devant du Christ, qui vous remplit de ses dons ; mais quand au-dessus de ses dons, au-dessus de vous-même et de toutes les créatures, vous vous reposez en lui, alors vous demeurez en Dieu, et Dieu demeure en vous. Au sommet de la vie active, entre Jésus et l’âme, voilà le mode de la rencontre.