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Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)

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LE DON DE FORCE

Nous avons parcouru les royaumes de la terre et de la crainte, de l’eau et de la piété, de l’air et de la science. Voici le don de force, et le royaume du feu.

Les trois dons qui précèdent ordonnent et ornent la vie active. Le don de force ordonne et orne la vie effective.

Le don de force élève l’âme au-dessus des créatures. Il place devant elles les propriétés des personnes divines, la puissance du Père, la sagesse du Fils, et la bonté du Saint-Esprit. Il embrase l’âme d’un amour sensible qui délivre jusqu’à la mémoire. Toutes les puissances de l’âme se dressent et s’unissent ; le mépris du monde grandit dans l’intelligence, et elle sent toute créature trop faible désormais pour gêner l’offrande qu’elle fait d’elle-même à la bonté sans fin et sans commencement. Le don de force brise nos liens et nous absout de la créature. Les choses d’en bas sont vaincues, et toutes les puissances de l’âme font l’unité sur la montagne. La prière naît sur les lèvres et dans l’âme, avec l’action de grâce et la sincérité, et le désir grandit comme un feu qui s’allume. La chose aperçue, éternelle vérité, sagesse infinie, et magnificence, a dans sa beauté propre tout ce qu’il faut pour mettre en flammes celui qui contemple. Or, ce désir incommensurable blesse le fond de l’homme qui se sent une atteinte portée dans son intime.

Plus il se tourne vers Celui qui est désirable, plus la blessure grandit. Quelquefois il arrive une telle suavité intérieure que l’homme, incapable de se contenir, ne sait que devenir et que faire. Il croit que personne n’a l’expérience de ce transport. C’est la joie proprement dite : il se demande s’il va mourir, la poitrine brisée. Mais le transport se contient, tant que l’extatique est en présence d’un témoin ; car Dieu veille sur l’honneur de ses amis. C’est l’ivresse spirituelle ; c’est la folie trois fois sublime.

C’est du don de force que le Seigneur parlait, quand il a dit : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés.

Le don de force s’exerce spécialement sur le feu, c’est-à-dire sur la volonté libre. Le feu est la splendeur de la création matérielle, il revendique la première place, au milieu de ce royaume ; par sa nature et sa noblesse propre, il tend à s’élever, en même temps il agit dans toute créature avec une extrême subtilité. La liberté aussi tend à monter toujours, emportée par le désir. Car l’âme a reçu de Dieu la sublime faveur de ne pouvoir se reposer dans aucune créature. Que son désir l’emporte et qu’elle brûle comme le feu. Qu’elle soit à l’abri des calomnies de celui qui ment, et qu’elle fasse connaissance avec les choses supérieures de la puissance et de la vertu.

Or l’éternelle Sagesse veille sur l’ascension des désirs qui montent, afin que, portés par la force, ils se réunissent au centre de l’unité. Les torrents de grâce et de gloire coulent dans chaque âme qui désire, suivant l’excellence du désir. Le flux et le reflux de cet océan produisent la soif éternelle. Ceux qui coulent avec leur désir dans la mer sans rivage sentent la faim, sentent la soif et goûtent l’unité. Mais comme cette unité est inépuisable, la soif persiste à jamais. Jésus-Christ, au centre du feu, de l’amour et du désir, s’est toujours penché vers les nécessités des hommes, plein de compassion pour tout ce qui est misérable, car il avait le don de force au suprême degré. L’homme qui le prierait avec la confiance dont il est digne, obtiendrait tout ; je n’en doute pas. Il a payé lui-même nos dettes ; il a donné sa chair et son sang pour être nourriture et breuvage, afin de nous pénétrer, corps et âmes, et jusqu’à nos dernières puissances. Il veut nous entraîner en lui, être possédé par nous, nous posséder lui-même et nous dévorer. Mangé et être mangé ! Unité ! Unité ! J’ose affirmer que si vous ouvrez seulement un peu la bouche, Jésus-Christ va vous dévorer, et vous fondrez, vous fondrez, et vous coulerez dans l’Unité ! Et puisque son désir est l’immensité même, je ne m’étonnerais pas beaucoup d’être dévoré par lui. Dévorer, être dévoré ; c’est ce qui s’appelle avoir faim et soif de la justice. Ce sera notre éternelle action dans le temps et dans l’éternité. Amen.

J’ai dit que le don de force règne sur le feu. En effet, la liberté ressemble à la flamme.

Le feu monte toujours. Mais un ordre arrive du ciel et lui dit : Descends.

Le feu possède sur les créatures inférieures une action subtile, mystérieuse, pénétrante.

Le feu conserve toutes les créatures qui vivent au ciel, dans la mer ou sur la terre.

Le feu subsiste en son lieu propre, supérieur au reste de la matière illustrée, réchauffée et fécondée par lui.

Or la liberté, victorieuse du monde et du démon, monte toujours. Elle s’en va vers la louange et vers l’éternité de son Seigneur et de son Dieu. Elle possède l’unité et ne la perdra pas. Mais un ordre du ciel arrive ; elle se retourne vers les hommes, compatit à toutes leurs nécessités, se penche vers toutes leurs misères ; il faut qu’elle pleure et qu’elle féconde. Elle éclaire comme le feu ; comme lui, elle brûle ; comme lui, elle absorbe et dévore et soulève vers le ciel ce qu’elle a dévoré. Et quand elle a fait son action en bas, elle se soulève et reprend, brûlante de son feu, le chemin de la hauteur.

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