Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
LA PRIÈRE DE JÉSUS
Unité ! tel était le sens de la prière de Jésus quand il demanda au Père que ses amis fussent consommés en un, comme son Père et lui sont un dans la jouissance du Saint-Esprit. Il voulut être en nous, et nous en lui ; il voulut pour nous l’unité, le sein du Père, et la jouissance de l’Esprit.
De toutes les prières du Christ, voici, si je ne me trompe, la plus brûlante : voici le triomphe de l’amour.
La prière de Jésus est triple, d’après l’Évangile de saint Jean. Jésus veut que les siens soient avec lui, là où il est, et qu’ils contemplent sa lumière.
J’ai déjà dit que tous les justes sont unis à Dieu par l’intermédiaire de sa grâce et de leurs vertus. L’amour de Dieu coule sur nous, chargé de dons toujours nouveaux. Les observateurs de l’amour subissent un renouvellement continuel d’activité, de vertu et de justice. Cette union, que la plénitude divine accomplit dans l’âme et dans le corps, se commence en cette vie, et se consomme dans l’autre.
En outre, Jésus a demandé sa résidence en nous, et la nôtre en lui. Voici l’union immédiate. Car l’amour de Dieu n’est pas seulement une effusion ; il est aussi un recueillement. Les adhérents sont les hommes de la lumière intérieure, et leurs puissances supérieures sont soulevées, plus haut que leur vertu propre, dans la nudité de l’essence, et sont réduites à une certaine simplicité incompréhensible, qui leur donne, grâce à la suppression des intermédiaires, plénitude et surabondance.
Mais la troisième prière est plus haute que les deux autres. Jésus demande que nous soyons consommés en un, comme son Père et lui sont un. Il ne demande pas que notre substance soit confondue avec la substance divine ; cette confusion est impossible ; mais il veut que nous soyons un dans l’unité d’amour, dans l’unité de jouissance, dans l’unité de béatitude.
Si vous sentez entre Dieu et vous cette triple union, la prière de Jésus est exaucée en vous ; et vous demeurerez avec lui dans la joie de la possession éternelle, et l’éternelle action et l’éternel repos s’accomplira pour vous sans terreur dans l’essence suressentielle.
Vous entrerez, vous sortirez, et votre pain et votre vin seront toujours à votre portée. Les hommes de cette race sont ivres d’amour. Ils se sont endormis en Dieu au fond de la splendeur caligineuse.
Je pourrais parler encore ; mais ceux qui possèdent n’ont pas besoin de paroles. Si ces choses sont claires pour vous, l’amour auquel est adhérent votre amour vous apprendra toute vérité. Quant à ceux qui se répandent au dehors, cherchant les consolations de la vanité, l’expérience de la joie leur étant interdite, je pourrais parler éternellement sans leur faire comprendre un seul mot.
Ceux qui se livrent tout entiers à l’action extérieure, dans l’oubli de la chose intime, ou à l’oisiveté intérieure, dans le mépris de l’activité, ceux-là ne peuvent pas me comprendre.
Quoique la nature physique et la nature morale de l’homme soient dépassées par les hauteurs de la foi et de la contemplation, néanmoins la vie du sentiment et de la raison subsiste en lui, impérissable comme son essence même. Et quoique l’esprit de contemplation et de désir soit surpassé par l’unité de jouissance, néanmoins la contemplation et le désir persistent invincibles. Telle est la vie intime de l’esprit, et quand l’homme monte l’échelle de lumière, sa vie sensitive adhère à son esprit. Ses forces sensitives s’unissent elles-mêmes à Dieu, par la vertu de l’amour, et sa nature est remplie de tout bien. Entre Dieu et sa vie intime, il sent l’union immédiate. Ses forces suprêmes sont suspendues à Dieu par l’éternité de son amour, pénétrées, imprégnées de la Vérité divine, fixées et établies dans la liberté qui ne se souvient plus. Son esprit plein de Dieu surabonde sans mesure. Parmi la plénitude et la surabondance, il roule essentiellement et plonge dans l’unité superessentielle ; j’ai essayé de montrer l’absolu de cette chose. Dans l’unité superessentielle, toute vie a son principe et sa fin. Si nous voulons courir avec Dieu les chemins élevés de l’amour, nous trouverons, avec son éternelle activité, son éternel repos, et nous approcherons, et nous entrerons, et ce sera la paix éternelle.