Rusbrock l'Admirable (œuvres choisies)
L’ENLÈVEMENT
Les hommes de l’amour ont devant eux le feu divin, en face de leur contemplation ; c’est le trésor commun coulant au ciel et sur la terre. Ils sentent la Trinité divine s’incliner pleine de grâces en elle-même et vers eux-mêmes : leur parure intérieure et extérieure est toute justice et toute sainteté. Ainsi ils sont unis à Dieu par sa grâce et leur vertu. Et parce qu’ils se sont livrés à Dieu en toute action, omission et soumission, ils jouissent d’une paix, d’une joie, d’une consolation et d’une saveur que personne ne comprend, ni le monde, ni la créature parée pour lui, ni quiconque se préfère à Dieu. Ces hommes de l’intérieur, ces hommes au regard illustré, ont devant les yeux, toutes les fois qu’ils le veulent, l’invitation de l’amour qui tire vers le Un et qui dit : Rentrez. S’ils se sentent pris avec tous les élus dans l’immense embrassement du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, ils se sentent repliés par l’éternel amour vers l’unité de leur principe.
La contemplation simple et une est la gardienne du type qu’elle possède en esprit, abîmée dans la paix de Dieu. Ainsi l’esprit est ravi par un enlèvement vers la Trinité, et vers l’Unité par l’enlèvement triple : et cependant jamais la créature ne devient Dieu. Jamais elle ne se confond avec lui. L’union se fait par l’amour : mais la créature sent et voit entre Dieu et elle l’éternelle et invincible distinction. Si serrée que soit l’union, le ciel et la terre, sortis des mains de Dieu, cachent à l’esprit du contemplateur d’impénétrables secrets. Quand Dieu se donne à une âme, entre elle et lui l’abîme apparaît immense : les puissances de l’âme réduites à la simplicité, subissent la transformation divine. Voici la plénitude et la surabondance. L’esprit sent la vérité, la magnificence et l’union divine : mais il sent en lui-même une pente essentielle vers son antique situation, et cette pente sauvegarde en lui le sentiment de l’abîme essentiel qui est entre Dieu et lui. Rien de plus sublime que le sentiment de cette distance. Car l’unité est une force qui tire vers l’intérieur tout ce qu’elle a mis au monde naturellement ou surnaturellement. Aussi les hommes de la lumière sont librement ravis, plus haut que la raison, dans les domaines de la vision nue. C’est là que l’Unité divine est et appelle. C’est pourquoi leur regard nu, vide et libre, pénètre toute l’activité de toute créature, et la poursuit, pour l’approfondir, jusqu’au sommet d’elle-même. Et ce regard nu est pénétré et imprégné d’éternelle lumière, comme l’air est pénétré et imprégné de soleil. La volonté nue est transformée par l’éternel amour, comme le feu par le feu. L’esprit nu se dresse ; il se sent embrassé, affermi, fixé par l’immensité du Dieu sans forme. Ainsi, au-dessus de la raison, l’image créée est unie par un triple nœud à son type éternel, principe et source de sa vie.