← Retour

Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

16px
100%

MORT TRAGIQUE
DE RAYMOND TRENCAVEL,
VICOMTE DE BÉZIERS ET DE CARCASSONNE.

La vengeance exercée par les bourgeois de Béziers, au XIIe siècle, contre Raymond Trencavel, leur seigneur et souverain, est un témoignage de la barbarie des mœurs de cette époque.

Le gouvernement féodal était alors en vigueur dans presque toute l'Europe, et les lois de la chevalerie partout à peu près les mêmes. Les grands vassaux faisaient la guerre à leur suzerain toutes les fois qu'ils se sentaient assez forts pour une telle entreprise; et, par une conséquence toute naturelle, les petits vassaux guerroyaient aussi contre les grands.

Raymond Trencavel, vicomte de Béziers et de Carcassonne, venait de rompre la paix qu'il avait conclue avec le comte de Toulouse, son seigneur, pour se tourner du côté du roi d'Aragon, son ancien allié. Bernard-Aton, vicomte de Nîmes, son neveu, avait aussi embrassé le parti de ce dernier prince. Trencavel, ayant rassemblé les milices de Béziers et de Carcassonne, et s'étant mis en marche avec la noblesse de ses domaines pour aller rejoindre son neveu, Bernard-Aton, il s'éleva une querelle très-vive entre un bourgeois de Béziers et un chevalier de la suite du vicomte. Le bourgeois enleva au chevalier un cheval de charge, et refusa obstinément de le lui rendre. Le chevalier, vexé de cette offense, et excité par les discours des autres chevaliers, porta ses plaintes à Raymond Trencavel, lui demandant qu'il lui fît faire réparation de cette injure. Ces plaintes, appuyées par les murmures des autres chevaliers, qui menaçaient d'abandonner la bannière du vicomte s'il déniait justice à leur frère d'armes, déterminèrent Raymond Trencavel à leur accorder satisfaction. Il eut la faiblesse de leur abandonner le malheureux bourgeois, et les chevaliers le mutilèrent d'une manière déshonorante pour le reste de ses jours.

Cependant les bourgeois de Béziers conçurent un vif ressentiment de cette barbare punition, et méditèrent une vengeance plus barbare encore. Quand la campagne fut terminée, ils allèrent prier Trencavel de réparer la honte qui rejaillissait sur tous leurs compatriotes. Le vicomte, qui était naturellement d'une humeur douce et conciliante, fit tous ses efforts pour calmer leur exaspération et les ramener à des sentimens plus modérés; mais ce fut inutilement: ils restèrent sourds à tous les conseils de douceur et de paix; et Trencavel fut obligé de leur promettre de les satisfaire en évoquant cette cause à son conseil, qui reçut l'ordre de s'assembler à cet effet dans l'église de la Madelaine de Béziers le 15 octobre 1167.

Au jour fixé, les principaux bourgeois de Béziers se rendirent de leur côté à l'assemblée, armés de cuirasses et de poignards cachés sous leurs vêtemens. Les conseillers, barons et autres gens de la cour, prirent place dans l'église, selon leur rang et leur crédit. Le vicomte, président de l'assemblée, fit ouvrir la séance.

Alors le bourgeois qui était le sujet des doléances de la bourgeoisie de Béziers s'avançant le premier vers Trencavel: «Tu as eu la lâcheté, lui dit-il, de permettre à tes chevaliers de flétrir l'honneur des bourgeois de Béziers dans ma personne, notre honte ne peut être lavée que dans ton sang.» Et en même temps les conjurés, levant le masque, tirent leurs armes de dessous leurs habits, et assassinent cruellement le vicomte devant l'autel de l'église, avec un de ses fils, plusieurs de ses barons et des gens de sa suite. L'évêque, effrayé de cet attentat sacrilége, fit d'inutiles efforts pour arrêter le carnage; et son caractère sacré ne le mit pas lui-même à l'abri des coups, car il reçut plusieurs blessures au visage. Telle fut la mort misérable de Raymond Trencavel. Il périt de la main de ses sujets, en punition de ce qu'ils appelaient déni de justice.


Chargement de la publicité...