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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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HENRI III
ET JACQUES CLÉMENT.

Henri III avait aposté des sicaires pour faire lâchement assassiner le duc de Guise; la duchesse de Montpensier, sœur de cette illustre victime, eut recours au fanatisme de la religion et à celui de l'amour pour trouver à son frère un vengeur. Cette fière princesse ne craignit pas de se livrer à un moine pour lui mettre le poignard à la main.

Ce moine, de l'ordre des dominicains, se nommait Jacques Clément. Il était né à Sorbon, village de Champagne, à trois lieues de Rhétel, et était âgé de vingt-quatre ans et demi lorsqu'il se chargea de cet horrible message. Sa farouche piété et son esprit noir et mélancolique le rendaient propre à cet attentat. Il se crut appelé à devenir le libérateur et le martyr de la sainte ligue. Ses amis et ses supérieurs l'encouragèrent et le canonisèrent d'avance.

Clément se prépara à son régicide par des jeûnes et par des prières continuelles pendant des nuits entières. Il se confessa, reçut les sacremens, puis acheta un bon couteau. Les armées combinées de Henri III et du roi de Navarre étaient en ce moment campées dans les environs de Paris. Henri III avait pris son logement à Saint-Cloud dans la maison de Gondy. Jacques Clément sortit de Paris le dernier juillet 1589, et fut mené à Saint-Cloud par La Guesle, procureur-général. Celui-ci, qui soupçonnait un mauvais coup de la part de ce moine, l'envoya épier pendant la nuit dans l'endroit où il était retiré. On le trouva plongé dans un profond sommeil; son bréviaire était auprès de lui, ouvert et tout gras au chapitre du meurtre d'Holopherne par Judith.

Le lendemain, Clément, arrivé au quartier du roi, demanda à être présenté à ce prince, sous prétexte de lui révéler un secret dont il lui importait d'être promptement instruit. Ayant été conduit devant le roi, il se prosterna avec une modeste rougeur sur le front, et il lui remit une lettre qu'il disait être écrite par Achille de Harlay, premier président. Tandis que le roi lit, le moine le frappe dans le ventre et laisse le couteau dans la plaie; ensuite, avec un regard assuré et les mains sur sa poitrine, il lève les yeux au ciel, attendant paisiblement les suites de son assassinat. Le roi se lève, arrache le couteau de son ventre, et en frappe le meurtrier au front. Plusieurs courtisans accoururent au bruit. «Vous pouvez juger, monsieur, écrit La Guesle, témoin oculaire, quel était ce piteux et misérable spectacle de voir, d'un côté, le roi ensanglanté tenant ses boyaux entre ses mains, de l'autre, ses bons serviteurs qui arrivaient à la file, pleurant, criant, se déconfortant.» Le devoir des gens du roi était d'arrêter le moine pour l'interroger et tâcher de découvrir ses complices; mais ils le tuèrent sur-le-champ avec une précipitation qui les fit soupçonner d'avoir été trop instruits de son dessein.

Cependant Henri fit dresser un autel vis-à-vis de son lit; son chapelain y dit la messe. Au moment de l'élévation, le roi prononça ces paroles: «Seigneur Dieu, si tu connais que ma vie soit utile et profitable à mon peuple et à mon état, conserve-moi et me prolonge mes jours; sinon, prends mon corps et sauve mon âme; ta volonté soit faite.»

Le roi de Navarre arriva, Henri III lui tendit la main: «Mon frère, lui dit-il, vous voyez comme vos ennemis et les miens m'ont traité; il faut que vous preniez garde qu'ils ne vous en fassent autant.» Puis il déclara le roi de Navarre son légitime successeur, et invita les seigneurs présens à le reconnaître en cette qualité.

Henri III expira le mercredi 2 août, deux heures après minuit, ayant pardonné à ceux qui avaient pourchassé sa blessure. Cette nouvelle se répandit bientôt dans Paris, et remplit les ligueurs d'une folie joie. Madame de Montpensier sauta au cou du premier qui vint la lui apporter. «Ah! mon ami, soyez le bien-venu, lui dit-elle; mais est-il vrai, au moins? Ce méchant, ce perfide, ce tyran est-il mort? Dieu, que vous me faites aise! Je ne suis marrie que d'une chose, c'est qu'il n'ait su, avant de mourir, que c'est moi qui l'ai fait faire.» Elle courut chez madame de Nemours, sa mère, monta avec elle en carrosse, et s'en alla distribuant de rue en rue des écharpes vertes, couleur d'une espèce de deuil dérisoire consacré aux fous. «Bonne nouvelle, mes amis, s'écriait-elle, bonne nouvelle! le tyran est mort; il n'y a plus de Henri de Valois en France.»

Madame de Nemours, du haut des degrés du grand hôtel des cordeliers, harangua le peuple; on fit des feux de joie; les prédicateurs canonisèrent Jacques Clément; on publia les actes du martyre de frère Jacques Clément, de l'ordre de Saint-Dominique. On vendait à la foule le portrait du moine, avec des vers dignes du héros:

Un jeune Jacobin, nommé Jacques Clément,

Dans le bourg de Saint-Cloud, une lettre présente

A Henri de Valois, et vertueusement

Un couteau fort pointu dans l'estomac lui plante.

L'attentat de Clément fut approuvé à Rome. Le pape Sixte-Quint, en plein consistoire, déclara que le régicide Jacques Clément était comparable pour le salut du monde à l'incarnation et à la résurrection, et que le courage du religieux jacobin surpassait celui d'Éléazar et de Judith. «Ce pape, dit M. de Châteaubriand, avait trop peu de conviction politique et trop de génie pour être sincère dans ces comparaisons sacrilèges; mais il lui importait d'encourager des fanatiques prêts à tuer des rois au nom du pouvoir papal.»

Le parlement de Toulouse ordonna qu'une procession solennelle aurait lieu, tous les ans, le jour de l'assassinat du roi. Telle est la folie du fanatisme en tous les genres, qu'il est toujours prêt à déifier les crimes qu'il suscite et ceux qui les commettent.


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