Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
CRIME HORRIBLE
ATTRIBUÉ A DES JUIFS DE BRIE-COMTE-ROBERT.
Par suite des préjugés religieux qui, comme chacun sait, ne sont ni moins haineux, ni moins intolérans, ni moins menteurs que les autres préjugés, les chrétiens, et particulièrement les catholiques, se plurent long-temps à calomnier les juifs, à leur imputer les actions les plus atroces, les abominations les plus révoltantes. La cupidité avait souvent plus de part à ces accusations que le zèle pour la foi. Les juifs, quoique sans patrie, formaient, au moyen âge comme aujourd'hui, une nation industrieuse et commerçante; beaucoup d'entre eux étaient possesseurs de grandes richesses; mais malheur à eux si quelque seigneur ou quelque autre personnage influent venait à convoiter une part de leurs trésors; soudain les crimes de magie, de sacrilége ou d'homicide leur étaient imputés; la haine qu'on leur portait faisait croire sans peine à leur culpabilité; on les saisissait, on les jugeait, on les condamnait, et l'on confisquait leur or. De là tant de mensonges, tant d'histoires calomnieuses et absurdes qui long-temps trouvèrent créance dans les esprits crédules et prévenus des peuples.
Comme l'opprimé cherche toujours à se venger, les juifs durent exercer parfois de cruelles représailles, quand l'occasion s'en présentait. Mais, dans ce cas encore, une partie de l'odieux devait retomber sur les oppresseurs, puisque ces actes de cruauté étaient presque toujours le résultat de leur tyrannie.
Ces réflexions pourront expliquer le fait suivant, qui paraît moins apocryphe que tant de fables débitées sur les juifs.
En 1191, Agnès de Branie, veuve de Robert, comte de Dreux, frère du roi Louis VII, faisait sa résidence à Braye, aujourd'hui Brie-Comte-Robert, petite ville située à quelques lieues sud-est de Paris. Cette princesse avait attiré dans ce canton un grand nombre de juifs commerçans. Ceux-ci accusèrent un chrétien des crimes de vol et d'homicide, et obtinrent qu'on le leur livrât. En réalité, ce malheureux n'avait commis d'autre crime que celui de leur avoir emprunté des sommes d'argent qu'il ne pouvait leur rendre. Les juifs, le jour du vendredi saint, dépouillèrent cet homme, lui lièrent les mains derrière le dos, lui mirent une couronne d'épines sur la tête, et le conduisirent dans toutes les rues du bourg, en l'accablant de coups de fouet. Enfin ils l'attachèrent à une croix avec des clous, et lui percèrent le côté d'un coup de lance.
Philippe-Auguste, instruit de cet attentat inhumain et sacrilége, punit cette cruauté avec une justice non moins barbare. Il fit brûler quatre-vingts juifs.
«On sait que cette nation, dit l'abbé Lebœuf en rapportant ce fait, était accoutumée à crucifier un enfant chrétien dans le temps de notre semaine sainte, lorsqu'elle pouvait en attraper un.» Cette assertion ainsi généralisée pourrait bien n'avoir d'autre fondement et d'autres preuves que les croyances populaires dont nous avons parlé plus haut. De ce qu'un fait est peut-être arrivé une ou même plusieurs fois, doit-on en conclure que c'était une coutume?