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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LE BARON DES ADRETS.

Le baron des Adrets fut un des hommes les plus sanguinaires du seizième siècle. Il se livrait aux actes de férocité, par goût, par tempérament; on ne peut, à son sujet, alléguer pour excuse, ni le fanatisme, ni son opinion politique; car il tenait peu à son parti et à sa religion. Ayant eu à se plaindre des Guises, il se jeta dans la religion réformée, et se signala, en 1562, à la tête des protestans du Dauphiné, par sa cruauté et sa barbarie. Lamotte-Gondrin, lieutenant du duc de Guise, fut assassiné dans sa maison, et des Adrets fut seul accusé de ce meurtre.

Des pillages, des massacres, des incendies, étaient ses exploits ordinaires. Dans plusieurs villes de la Provence et du Dauphiné, il commit des cruautés qui firent horreur dans un temps où les actes de cruauté étaient fort communs. Il recherchait, il inventait les supplices les plus bizarres, et goûtait la barbare satisfaction de les faire endurer à ceux qui tombaient entre ses mains. A Montbrison et à Mornas, les soldats qu'on fit prisonniers furent obligés de se jeter, du haut des tours, sur la pointe des piques de ses satellites. Ayant osé reprocher à un de ces malheureux de s'être déjà présenté deux fois, et d'avoir reculé au lieu de faire le saut: «Monsieur le baron, lui dit le soldat, tout brave que vous êtes, je vous le donne en dix.» Cette réponse plaisante désarma cet homme féroce, et sauva la vie à ce malheureux soldat.

Ce monstre, voulant rendre ses enfans aussi cruels que lui, les força, dit-on, de se baigner dans le sang des catholiques dont il venait de faire un carnage effroyable. De quelque fureur que fussent animés les gens de son parti, ils ne purent approuver toutes ses barbaries. L'amiral de Coligny écrivait qu'il fallait se servir de lui comme d'un lion furieux.

Ayant été dépouillé du gouvernement du Lyonnais, des Adrets piqué, voulut se refaire catholique; mais on le fit saisir à Romans, et, sans la paix qui fut conclue à cette époque, il aurait péri par le dernier supplice.

Des Adrets ayant envoyé un cartel à François de la Baume, comte de Suze, pour se battre trois contre trois; celui-ci lui répondit qu'il n'exposerait jamais personne que pour le service du roi; mais que s'il voulait se rendre seul à l'endroit indiqué dans son cartel, il l'y trouverait seul. Des Adrets accepta; ils se battirent. De Suze l'ayant renversé à ses pieds de deux coups d'épée, lui demanda: «Que ferais-tu de moi, si tu m'avais mis dans l'état où te voilà?—Je t'achèverais, répondit des Adrets.—J'en suis persuadé, répondit de Suze, comme tu dois l'être, que je n'ai jamais tué, et que je ne tuerai jamais un ennemi à terre.» Il le fit porter dans la maison la plus voisine, et ne le quitta pas qu'on n'eût pansé ses blessures qui n'étaient pas dangereuses.

Quelque temps avant sa mort, des Adrets s'étant rendu à Grenoble, où était alors le duc de Mayenne, voulut se venger de Pardaillan, qui l'avait accusé du meurtre de son père. Il répéta plusieurs fois en public: «Qu'il avait quitté sa solitude pour faire savoir à ceux qui auraient à se plaindre de lui, que son épée n'était pas si rouillée qu'il ne pût leur rendre raison.» Pardaillan ne crut pas devoir faire attention à cette bravade d'un ferrailleur octogénaire, et des Adrets s'en retourna, content de son impudente rodomontade.

Cet homme, noir de crimes, qui avait décimé par ses barbares exécutions la plupart des familles, se promenait seul, dans sa vieillesse, comme s'il n'eût eu rien à redouter de la vengeance des enfans de ses nombreuses victimes. L'ambassadeur de Savoie l'ayant rencontré un jour sur un grand chemin, et lui ayant demandé de ses nouvelles: «Je n'ai rien à vous dire, répondit froidement des Adrets, sinon que vous rapportiez à votre maître, que vous avez trouvé le baron des Adrets, son très-humble serviteur, dans un grand chemin, avec un bâton blanc à la main et sans épée, et que personne ne lui dit rien.»

Cet homme cruel mourut en 1587, méprisé et abhorré des deux partis qu'il avait servis tour à tour.


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