Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
MASSACRE
DE LA SAINT-BARTHÉLEMY.
Notre langue manque d'expressions pour caractériser ce monstrueux attentat, qui heureusement est unique dans l'histoire. Quoi de plus horrible, en effet, que de voir un roi faire lâchement assassiner, la nuit, à un signal convenu, une partie de ses sujets qui vient de se ranger sous son obéissance? On conçoit, bien qu'en frémissant d'horreur, l'épouvantable catastrophe connue sous le nom de Vêpres siciliennes; c'étaient des vaincus opprimés qui voulaient, d'un seul coup, se débarrasser d'orgueilleux conquérans. Mais qu'un roi qui devrait être le père de tous ses sujets ose, en pleine paix, méditer la mort d'un grand nombre d'entre eux, parce qu'ils n'ont pas la même religion que lui; qu'il emploie la plus perfide dissimulation pour les attirer dans un piége infâme; qu'il s'efforce d'endormir leur défiance par de faux semblans d'amitié; et que, profitant de l'heure du sommeil, il lance dans leurs maisons fermées ses satellites avides de carnage; qu'il seconde lui-même leur fureur, en versant de ses mains royales le sang des malheureux protestans; on ne peut attribuer de tels excès qu'à la plus furieuse démence ou à la plus profonde scélératesse.
Les protestans de France venaient de faire leur paix avec Charles IX. Ce jeune roi, soumis à toutes les volontés de sa mère, Catherine de Médicis, n'opposa aucune résistance au projet infernal qu'elle avait formé de détruire les chefs de ce parti redoutable. Tout fut concerté, les piéges furent tendus; on proposa aux protestans des conditions avantageuses. L'amiral de Coligny, fatigué de la guerre civile, les accepta avec autant de confiance que d'empressement. Charles IX, pour ôter tout sujet de soupçon, donna sa sœur en mariage au jeune Henri de Navarre. Trompée par des apparences aussi séduisantes, Jeanne d'Albret vint à la cour, avec son fils, l'amiral de Coligny, et tous les chefs des protestans. Le mariage fut célébré avec pompe; toutes les manières obligeantes, toutes les assurances d'amitié, tous les sermens furent prodigués par le roi et par son astucieuse mère; on ne s'occupa pendant plusieurs jours que de fêtes, de jeux et de mascarades.
Enfin une nuit, la veille de la Saint Barthélemy, au mois d'août 1572, l'ordre du massacre fut donné à minuit. On fit sonner le tocsin à Saint-Germain l'Auxerrois; et, peu après, la grosse cloche du Palais, que l'on ne sonnait que dans les grandes réjouissances, répondit à ce signal horrible. Toutes les maisons des protestans furent forcées et ouvertes en même temps.
Quelques jours auparavant, Coligny sortant du Louvre avait reçu un coup d'arquebuse qui l'avait blessé au bras gauche et à la main droite. «Voilà, s'était écrié l'amiral, voilà le fruit de ma réconciliation avec le duc de Guise.» Le roi de Navarre, le prince de Condé, se plaignirent au roi de cet attentat. Charles IX affecta une douleur extrême, fit rechercher les coupables, et donna le nom de père à Coligny. «Mon père, lui dit-il, la blessure est pour vous, et la douleur pour moi.» Tel était le langage qu'il tenait à la veille du massacre des protestans.
L'amiral était logé dans la rue de Bétizi, dans une maison qui depuis fut une auberge sous le nom d'hôtel Saint-Pierre.
Une troupe d'assassins, à la tête desquels était un certain Besme, bohémien, domestique de la maison de Guise, entra l'épée à la main et trouva l'amiral de Coligny assis dans un fauteuil. Il lui dit: «Est-ce toi qui es Coligny?—C'est moi-même, répondit l'amiral. Jeune homme, poursuivit le héros, d'un air calme et tranquille, et lui montrant ses cheveux blancs, tu devrais respecter mes cheveux blancs: mais fais ce que tu voudras, tu ne peux m'abréger la vie que de quelques jours.» Besme Bianowitz plongea son épée dans le sein de l'amiral, et lui donna un coup de revers sur le visage. On rapporte que Coligny, se sentant frappé, s'écria: «Au moins, si je périssais par la main d'un homme de cœur, et non par celle d'un misérable valet!»
Les lecteurs, amis des beaux vers, nous sauront gré de leur remettre sous les yeux ceux de la Henriade où se trouve si bien peinte l'héroïque mort de Coligny:
Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l'enferme allait briser la porte!
Il leur ouvre lui-même et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage,
A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect,
Une force inconnue a suspendu leur rage.
«Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
Que le sort des combats respecta quarante ans;
Frappez, ne craignez rien; Coligny vous pardonne;
Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne...
J'eusse aimé mieux la perdre, en combattant pour vous.»
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux;
L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes,
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant de son peuple adoré.
Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible,
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage,
Ne fît trembler son bras et glaçât son courage.
Du plus grand des Français tel fut le triste sort,
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort;
Son corps, percé de coup, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorans fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d'elle et digne de son fils.
Le jeune Henri, duc de Guise, qui fut depuis assassiné à Blois, était à la porte de la maison de Coligny, attendant la fin de l'assassinat, et cria tout haut: Besme, cela est-il fait? Besme jeta le corps de l'amiral par la fenêtre après l'avoir traîné jusque là par les pieds. Coligny tomba aux pieds du duc de Guise, qui eût l'infamie de frapper du pied le corps de ce grand homme expirant, et de le livrer à la populace, qui le mit en pièces. Besme, lui ayant marché sur le corps, dit à la troupe d'assassins qu'il avait sous ses ordres: C'est bien commencer; allons continuer notre besogne!
Le cadavre de l'amiral fut exposé pendant trois jours à la fureur populaire, et enfin pendu par les pieds au gibet de Montfaucon, où Charles IX alla le voir, répétant, dit-on, le mot de Vitellius, «Qu'un ennemi mort n'a rien d'horrible, et ne sent pas mauvais.» Un Italien ayant coupé la tête de l'amiral, pour la porter à Catherine de Médicis, cette princesse la fit embaumer et l'envoya à Rome.
Cependant tous les amis de Coligny étaient attaqués dans Paris, hommes, enfans, tout était massacré sans distinction; toutes les rues étaient jonchées de corps morts. Quelques prêtres, tenant un crucifix d'une main et une épée de l'autre, couraient à la tête des meurtriers, et les encourageaient au nom de Dieu, à n'épargner ni parens, ni amis.
Le maréchal de Tavannes, soldat ignorant et superstitieux, qui joignait le fanatisme religieux à la haine politique, courait à cheval dans Paris, criant aux soldats: «Du sang! du sang! La saignée est aussi salutaire dans le mois d'août que dans le mois de mai.»
Le palais du roi fut un des principaux théâtres du carnage, car le prince de Navarre logeait au Louvre et tous ses domestiques étaient protestans. Quelques-uns d'entre eux furent tués dans leurs lits avec leurs femmes; d'autres s'enfuyaient tout nus, et étaient poursuivis par les soldats sur les escaliers de tous les appartemens du palais, et même jusqu'à l'antichambre du roi. La jeune femme de Henri de Navarre, éveillée par cet affreux tumulte, craignant pour son époux et pour elle-même, saisie d'horreur et à demi morte, sauta brusquement de son lit pour aller se jeter aux pieds du roi son frère. A peine eut-elle ouvert la porte de sa chambre, que quelques-uns de ses domestiques protestans coururent s'y réfugier. Les sicaires entrèrent sur leurs pas, et les poursuivirent en présence de la princesse. Un d'eux, qui s'était caché sous son lit, y fut tué, deux autres furent percés de coups de hallebarde à ses pieds; elle fut elle-même couverte de sang.
Laissons parler cette princesse elle-même. Voici ce qu'elle dit, dans ses mémoires, sur les horreurs de la nuit de la Saint-Barthélemy: «Lorsque j'étais le plus endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant: Navarre, Navarre! Ma nourrice, pensant que c'était le roi mon mari, court vitement à la porte; c'était un gentilhomme, nommé M. de Téjan, qui avait un coup d'épée dans le coude, un coup de hallebarde dans le bras, et qui était encore poursuivi par quatre archers, qui entrèrent tous après lui dans ma chambre. Lui, voulant se garantir, se jeta sur mon lit. Moi, sentant ces hommes qui me tenaient, je me jette à la ruelle; et lui, après moi, me tenant toujours au travers le corps, nous crions tous les deux et étions aussi effrayés l'un que l'autre. Enfin Dieu voulut que M. de Nançai, capitaine des gardes, y vint, qui, me trouvant en cet état, encore qu'il y eût de la compassion, ne put se tenir de rire. Ayant changé de chemise, parce que j'étais toute couverte de sang, et m'étant fait jeter un manteau de nuit, je passai à l'appartement de madame de Lorraine, ma sœur. Entrant dans l'antichambre, un gentilhomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivaient, fut percé d'un coup de hallebarde à trois pas de moi.»
Un jeune gentilhomme, favori de Charles IX, le comte de La Rochefoucauld, avait passé la soirée avec le roi. Celui-ci éprouva quelques remords, et fut touché d'une sorte de compassion pour lui; il lui dit deux ou trois fois de ne point retourner chez lui, et de coucher dans sa chambre. Mais La Rochefoucauld répondit qu'il voulait aller trouver sa femme. Le roi ne l'en pressa pas davantage, et dit: Qu'on le laisse aller; je vois bien que Dieu a résolu sa mort. Ce jeune homme fut massacré deux heures après.
Le comte de Téligny, qui venait d'épouser la fille de l'amiral, périt aussi sous les coups des assassins. Il avait un visage si agréable et si doux, que les premiers qui étaient venus pour le tuer s'étaient laissés attendrir à sa vue; mais d'autres plus féroces le massacrèrent. Antoine de Clermont-Resnel, se sauvant en chemise, fut égorgé par le fils du fameux baron des Adrets, et par son propre cousin Bussy-d'Amboise. Le marquis de Pardaillan tomba à côté de lui. Guerchi se défendit long-temps dans la rue, et tua plusieurs meurtriers avant de succomber sous le nombre; mais le marquis de Lavardin n'eut pas le temps de tirer l'épée.
Parmi les autres victimes notables de la Saint-Barthélemy, on doit citer le célèbre sculpteur et architecte Jean Goujon, protestant, qui fut tué d'un coup de carabine, pendant qu'il travaillait aux magnifiques bas-reliefs dont il a orné le Louvre. Le savant Ramus ou La Ramée, professeur distingué au collége royal, fut jeté par une fenêtre du collége de Presle, dont il était principal.
Il y en eut fort peu qui échappèrent à ce massacre général. Parmi ceux-ci, la délivrance du jeune La Force a quelque chose de miraculeux. C'était un enfant de dix ans. Son père, son frère aîné et lui, furent arrêtés en même temps par les soldats du duc d'Anjou. Ces meurtriers tombèrent sur tous les trois à la fois, et les frappèrent au hasard. Le père et les enfans, couverts de sang, tombèrent à la renverse les uns sur les autres. Le plus jeune, qui n'avait reçu aucun coup, contrefit le mort, après avoir eu la prudence de s'écrier: Je suis mort. Il se laissa tomber entre son père et son frère, dont il reçut les derniers soupirs. Les meurtriers, les croyant tous morts, s'en allèrent en disant: «Les voilà bien tous trois.» Quelques malheureux vinrent ensuite dépouiller les corps; il restait un bas de toile au jeune La Force; un marqueur du jeu de paume du Verdelet voulut avoir ce bas de toile; il s'amusa à considérer le corps de ce bel enfant: «Hélas! dit-il, c'est bien dommage, celui-là n'est qu'un enfant, que peut-il avoir fait?» Ces paroles de compassion engagèrent le petit La Force à lever doucement la tête et à lui dire à voix basse: «Je ne suis pas encore mort.» Ce pauvre homme lui répondit: «Ne bougez, mon enfant; ayez patience.» Sur le soir, il le vint chercher, et lui dit: «Levez-vous, ils n'y sont plus.» Puis il lui mit sur les épaules un méchant manteau. Comme il le conduisait, quelqu'un des bourreaux lui demanda: «Qui est ce jeune garçon?—C'est mon neveu, répondit-il, qui s'est enivré; vous voyez comme il s'est accommodé! Je m'en vais bien lui donner le fouet.» Enfin le pauvre marqueur le mena chez lui et lui demanda trente écus pour sa récompense. De là le jeune La Force se fit conduire, déguisé en gueux, jusqu'à l'arsenal, chez le maréchal de Biron, son parent, grand-maître de l'artillerie; on le cacha quelque temps dans la chambre des filles; enfin, sur le bruit que la cour le faisait chercher pour s'en défaire, on le fit sauver en habit de page sous le nom de Beaupin. Cet enfant fut depuis le maréchal de La Force, et vécut quatre-vingt cinq ans.
Jean de Beaumanoir, marquis de Lavardin, depuis maréchal de France, était allé passer la nuit avec la veuve d'un conseiller, bonne catholique et dame de charité de sa paroisse; il resta caché chez elle pendant trois jours, au bout desquels elle l'emmena habillé en fille et comme sa chambrière, à sa terre située à douze lieues de Paris.
Cependant plusieurs de ces infortunées victimes, échappées au fer des bourreaux, fuyaient du côté de la rivière. Quelques-uns la traversaient à la nage pour gagner le faubourg Saint-Germain. Charles IX les aperçut de sa fenêtre qui avait vue sur la rivière, et ce jeune monstre tira sur eux avec une carabine. Voici ce que Brantôme ne fait pas difficulté d'avouer dans ses Mémoires: «Quand il fut jour, le roi mit la tête à la fenêtre de sa chambre, et voyant aucuns dans le faubourg Saint-Germain qui se remuaient et se sauvaient, il prit une grande arquebuse de chasse qu'il avait, et en tirait tout plein de coups à eux, mais en vain, car l'arquebuse ne tirait pas si loin; incessamment criait: «Tuez, tuez.» Catherine de Médicis, conservant un front calme au milieu de ce carnage, regardait du haut d'un balcon ces scènes d'horreur, enhardissait les assassins et riait d'entendre les cris des mourans. Ses filles d'honneur descendirent dans la rue avec une curiosité effrontée, digne des abominations de ce siècle; elles contemplèrent le corps dépouillé d'un gentilhomme nommé Soubise, qui avait été soupçonné d'impuissance, et qui venait d'être massacré sous les fenêtres de la reine.
Pour justifier cet horrible massacre, le roi alla au parlement accuser l'amiral de Coligny d'une conspiration, et le parlement rendit un arrêt contre le mort, par lequel il ordonna que son cadavre, après avoir été traîné sur une claie, serait pendu en Grève, ses enfans déclarés roturiers et incapables de posséder aucune charge, sa maison de Châtillon-sur-Loing rasée, les arbres coupés, etc., et que tous les ans on ferait une procession le jour de la Saint-Barthélemy, pour remercier Dieu de la découverte de la conspiration, à laquelle l'amiral n'avait pas songé. Malgré cet arrêt, la fille de l'amiral, veuve de Téligny, épousa peu de temps après le prince d'Orange.
Quelques années auparavant, le parlement avait mis à prix la tête de Coligny. «Il est impossible de savoir, dit Voltaire, s'il est vrai que l'on envoya la tête de l'amiral à Rome. Ce qu'il y a de bien certain, c'est qu'il y a à Rome, dans le Vatican, un tableau où est représenté le massacre de la Saint-Barthélemy avec ces paroles: Le pape approuve la mort de Coligny.»
Le jeune Henri de Navarre, depuis Henri IV, fut épargné, moins par compassion que par politique; il fut retenu prisonnier jusqu'à la mort du roi, comme caution de la soumission des protestans. Quelque temps avant la Saint-Barthélemy, Jeanne d'Albret, mère d'Henri IV, était morte presque subitement. Le bruit courut alors qu'elle avait été empoisonnée par l'odeur d'une paire de gants de senteur, que lui avait vendue Réné, Italien, grand scélérat, et parfumeur attaché à la cour de Catherine de Médicis. Quoique cette opinion ne fût pas ridicule, il paraît qu'elle était fausse. Le corps de la princesse fut ouvert, et les chirurgiens rapportèrent qu'ils n'y avaient point trouvé de marques de poison.
Le massacre de la Saint-Barthélemy ne se borna pas à la ville de Paris. Les mêmes ordres de la cour furent envoyés à tous les gouvernemens des provinces de France. Le massacre s'exécuta dans plusieurs villes, entre autres à Lyon et à Toulouse, où le parti des Guises dominait. Dans cette dernière ville, le 3 septembre, on fit arrêter tous les religionnaires qui n'avaient pas pris la fuite, et on les entassa dans les prisons de la Conciergerie; sur des ordres secrets de la cour, sept à huit assassins, armés de haches et de coutelas, furent introduits dans les prisons, le 4 octobre, avant le lever du soleil, se firent amener, l'un après l'autre, tous les prisonniers qui y étaient rassemblés, et les massacrèrent impitoyablement sur les degrés du palais, au nombre de trois cents environ, parmi lesquels se trouvaient trois conseillers au parlement, deux conseillers au sénéchal et plusieurs autres personnes de distinction. Après cette sanglante exécution, on dépouilla entièrement les cadavres des malheureuses victimes, et on les laissa tout nus pendant deux jours, exposés à la vue du peuple, excepté les trois conseillers au parlement, qui, revêtus de leurs robes rouges, furent pendus à l'ormeau du palais. Deux jours après on creusa des fosses dans la cour de la sénéchaussée, située dans le voisinage, et on y jeta pêle-mêle toutes les victimes, après qu'on eut saccagé leurs maisons et celles des autres religionnaires.
Mais, dans un grand nombre de villes, les chefs catholiques s'opposèrent à l'exécution de ces ordres sanguinaires. Parmi ces hommes courageux, on doit citer le comte de Tende, en Provence; Gordes, de la maison de Simiane, en Dauphiné; Saint-Hérem, en Auvergne; Charni, de la maison de Chabot, en Bourgogne; La Guiche, à Mâcon; le brave d'Ortez, à Bayonne; Villars, consul de Nîmes.
«On attribue communément les forfaits de Catherine de Médicis, dit Saint-Foix, à l'ambition de gouverner, et à l'embarras où elle se trouvait entre les Guises et les chefs du parti calviniste; pour moi, continue-t-il, après avoir lu, examiné et discuté tout ce qui a été écrit pour et contre, je pense que, formée pour brouiller et détruire, il en était de son âme comme d'un être infecté dans son germe, et qui devint un fléau; qu'une autorité sans trouble ne l'eût point flattée; qu'elle ne se plaisait qu'au milieu des orages, et qu'elle aurait semé la discorde et la division dans la cour la plus tranquille et la plus soumise. Rien ne dévoile mieux toute l'horreur de son caractère, que l'éducation de ses enfans. Elle voulait que des combats de coqs, de chiens et d'autres animaux, fussent une de leurs récréations ordinaires. S'il y avait quelque exécution considérable à la Grève, elle les y menait. Et, pour les rendre aussi lascifs que sanguinaires, elle donnait de temps en temps de petites fêtes, où ses filles d'honneur, les cheveux épars, couronnées de fleurs, servaient à table à demi nues. Charles IX, avec le caractère le plus impétueux, avait d'ailleurs de grandes qualités; l'éducation le pervertit entièrement. Papire Masson rapporte qu'un des grands plaisirs de ce prince était de montrer son adresse à abattre d'un seul coup la tête des ânes et des cochons qu'il rencontrait dans son chemin, en allant à la chasse; et qu'un jour, Lansac, un de ses favoris, l'ayant trouvé l'épée à la main contre son mulet, lui demanda gravement: Quelle querelle est donc survenue entre sa majesté très-chrétienne et mon mulet?
«Catherine de Médicis, les Guises, le chancelier de Birague et les Gondis étaient des étrangers qui gouvernaient le royaume: ils formèrent et dirigèrent le complot du massacre de la Saint-Barthélemy. Il me semble, ajoute Saint-Foix, qu'on doit en reprocher un peu moins l'horreur à notre nation, que celle des proscriptions aux Romains; Sylla et Auguste étaient Romains.»
Quoi qu'il en soit, environ soixante-dix mille Français furent égorgés au sein de la capitale, sans compter ceux qui furent assassinés dans les provinces, ceux qui périrent les armes à la main, et les protestans immolés au massacre de Vassy, qui avait été comme le prélude de celui de la Saint-Barthélemy.
Enfin, quoique de fanatiques historiens aient été les apologistes de cette infernale journée, quoiqu'on ait loué à Rome le zèle pieux de Charles IX, et le terrible exemple qu'il avait fait, disait-on, des hérétiques; quoique le cardinal Baronius ait dit que cette action était nécessaire; quoique le parlement de Paris ait ordonné alors une procession annuelle en mémoire de cette exécution; quoique le pape Grégoire XIII (Buoncompagno) ait été transporté de la joie la plus vive lorsqu'il en reçut la nouvelle, et en ait fait rendre grâce à Dieu; il n'en est pas moins vrai qu'aujourd'hui il n'est plus qu'une opinion sur cette infâme journée; on ne se la rappelle qu'avec une horreur profonde; l'on s'indigne, et l'on tremble pour l'humanité, quand on voit la dissimulation, jointe au fanatisme et à la cruauté, produire de si grands attentats.
Cette Saint-Barthélemy, au moyen de laquelle on croyait extirper toutes les causes de troubles, n'eut pas même l'avantage de produire l'effet qu'on s'en était promis. La guerre civile éclata de nouveau avec plus de fureur; les protestans échappés au massacre coururent à la vengeance. Ils combattirent avec ce désespoir qui fait acheter chèrement le triomphe aux vainqueurs.