Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
RÉPARATION
D'UN MEURTRE COMMIS DANS LE COUVENT
DES GRANDS-AUGUSTINS DE PARIS.
C'est avec raison que l'on a dit que les monumens des arts sont les conservateurs les plus curieux des faits historiques, des mœurs et des coutumes des peuples. On voyait, avant la destruction de l'église des Augustins de Paris, au coin de la rue et du quai du même nom, un bas-relief gothique dont les figures représentaient une satisfaction publique qui fut faite à la justice, aux Augustins et à l'Université, pour réparation d'un crime commis sur la personne de deux religieux dans l'intérieur de ce couvent.
En 1440, Jean Boyard, Colin Feucher et Arnoult Pasquier, tous trois sergens à verge, accompagnés de Gilet Rolant, meunier, et de Guillaume de Besançon, faiseur de cadrans, entrèrent dans le couvent des Augustins sous le prétexte de quelque exploit. Leur véritable motif était de tirer vengeance d'un affront que le père Nicolas Aimeri, maître de théologie, avait fait à l'un d'entre eux. Ils s'emparèrent violemment de la personne de ce religieux, et voulurent l'entraîner hors du couvent: le religieux opposa une vive résistance, ce qui occasionna un grand tumulte; d'autres augustins accoururent en foule pour défendre leur confrère; et dans la mêlée, Pierre Gougis, religieux de la maison, fut tué par un des huissiers.
Les augustins portèrent aussitôt leur plainte de cet attentat; le recteur de l'Université et le procureur du roi au Châtelet se joignirent à eux.
Le prevôt de Paris, faisant droit à ces plaintes, rendit sa sentence le 13 septembre, de la même année, par laquelle les huissiers furent condamnés à aller en chemise, sans chaperon, nu-jambes et nu-pieds, tenant chacun en sa main une torche ardente du poids de quatre livres, faire amende honorable au Châtelet, en présence du procureur du roi; à aller faire également amende honorable au lieu où la violence et le meurtre avaient été commis; et pareille cérémonie à la place Maubert ou en un autre lieu désigné par l'Université. De plus, ils furent condamnés à faire élever une croix de pierre de taille près du lieu où le meurtre avait eu lieu, avec images, c'est-à-dire bas-reliefs représentant ladite réparation; en outre, tous leurs biens, meubles et immeubles furent confisqués au profit du roi, avec injonction de prélever sur eux une somme de mille livres parisis pour être employée en messes, prières et oraisons pour l'âme du défunt, et une somme semblable pour être appliquée au profit du religieux Nicolas Aimeri, de l'Université, du prieur et des religieux augustins, et de ceux qui avaient poursuivi les susdites réparations. Enfin, par la même sentence, les coupables furent bannis du royaume de France à perpétuité.