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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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PUNITION
D'UN FRÈRE INCESTUEUX.

Le sieur Gaultier de Bermondet, lieutenant-général au siége présidial de Limoges, avait huit enfans, quatre fils et quatre filles. L'aîné des fils, qui portait le nom de son père, devint maître des requêtes; le second, Jean de Bermondet, doit jouer le principal rôle dans cette histoire; le troisième prit le nom de baron de Duradour, et le quatrième celui de baron de Langeat. Les filles étaient Marguerite, Suzanne, Léone et Françoise. Marguerite épousa, en 1551, le sieur Singareau, chevalier de Pressac; Léone fut mariée au sieur de Lamothe, et Suzanne à M. de Marignac, conseiller au parlement de Bordeaux. Cette nomenclature est nécessaire à l'intelligence des faits.

Le sieur de Bermondet portait une affection toute particulière à Jean, le second de ses fils. Il le fit recevoir avocat à Bordeaux, où il l'envoya pour suivre le barreau, et en 1558 il lui fit une donation d'une partie de ses biens. Jean de Bermondet ne se servit de ces libéralités paternelles que pour se plonger dans la débauche et dans toutes sortes de désordres. Le père crut qu'en le rappelant auprès de lui, il le ramènerait à des sentimens plus honorables. Mais le malheureux ne revint que pour porter l'opprobre au sein de sa famille.

Une liaison criminelle s'établit entre sa sœur Françoise et lui; et bientôt il devint impossible de cacher les suites de ce commerce incestueux.

Les autres enfans du sieur de Bermondet, jaloux de la préférence marquée dont jouissait Jean auprès de leur père, profitèrent de cette circonstance pour s'en venger. Loin de prendre les mesures nécessaires pour ensevelir dans le plus profond secret la honte de leur maison, ils la révélèrent avec éclat à ce malheureux père, qui chassa le criminel de chez lui.

Jean, dénué des ressources nécessaires pour fournir à ses débordemens, pilla, ravagea les fermes de son père, et mit les fermiers à contribution. A la nouvelle de ces nouveaux attentats, le sieur de Bermondet désavoua par un acte authentique ce misérable pour son fils, et fit publier ce désaveu dans toutes ses propriétés. Celui-ci, qu'aucun frein ne pouvait retenir, et dont l'âme paraissait faite pour le crime, loin de renoncer à sa liaison incestueuse, ne songea qu'à l'entretenir. Il gagna une domestique de la maison de son père, et se ménagea ainsi le moyen de s'introduire secrètement auprès de sa sœur Françoise, qui ne tarda pas à devenir enceinte pour la seconde fois.

Outré de colère, hors de lui, en apprenant ce nouveau malheur, le père porta plainte devant le lieutenant du sénéchal du Limousin, et déclara, dans sa plainte, qu'il désavouait le frère et la sœur pour ses enfans, et qu'il les déshéritait.

L'accusé fut constitué prisonnier à Saintes, et condamné à la question. La violence des tortures lui arracha l'aveu de son crime; il confessa que sa sœur avait deux fois porté dans son sein les fruits de leur inceste commun. Mais dans l'interrogatoire qu'il subit le lendemain, il rétracta cette déclaration, et dit qu'elle ne lui avait été arrachée que par la force des tourmens.

Françoise, ayant été interrogée, convint qu'elle était accouchée deux fois par suite de sa liaison avec son frère; mais elle refusa de signer cet interrogatoire.

Avant que l'on procédât au jugement définitif, Jean trouva le moyen de sortir de prison, et recommença aussitôt à ravager les biens de son père. Ce vieillard ne put résister à tant de peines multipliées; il mourut bientôt après de chagrin.

Par son testament daté de 1566, époque de sa mort, il révoquait la donation qu'il avait faite au profit de son second fils, confirmait l'exhérédation des deux coupables, et instituait l'aîné de ses fils, le maître des requêtes, héritier de tous ses biens, et en cas qu'il décédât sans enfans, il lui substituait le baron de Langeat.

Le maître des requêtes, en vertu de ce testament, se mit en possession de la succession, et donna à ses deux frères les portions qui leur étaient réservées. Jean acquiesça à ces arrangemens et à son exhérédation; il se réconcilia même avec ses frères, et vécut en bonne intelligence avec eux.

Les barons de Duradour et de Langeat étant morts peu de temps après, on prétendit que, sous le voile d'une réconciliation apparente, Jean avait empoisonné ses deux frères. Mais cette accusation paraît n'avoir eu d'autre fondement que la croyance fermement établie qu'il n'était pas de crime dont Jean ne fût coupable. Ce qui est certain, c'est que l'histoire du procès ne présente aucune trace de ce crime, et qu'il n'est énoncé que comme une simple allégation qui ne donna lieu à aucune instruction.

Françoise, complice de l'inceste de son frère, mourut en 1569, après avoir institué le maître des requêtes son héritier universel; et celui-ci se mit en possession de ses biens.

Enfin le maître des requêtes mourut aussi, et l'on trouva un testament daté du 18 février 1573, par lequel Jean, son frère, était institué héritier. On soutint dans la suite que ce dernier s'était introduit chez le mourant, accompagné de plusieurs personnes; qu'il l'avait voulu forcer à faire un testament en sa faveur; et que, n'ayant pu y parvenir, il avait fabriqué celui qu'on avait trouvé.

Ce testament, quel qu'il fût, reçut néanmoins son exécution; et Jean transigea avec sa sœur de Marignac pour la portion qu'elle avait à prétendre dans cette succession collatérale. Il épousa ensuite Marguerite de la Jomont.

Cependant la femme du sieur de Singareau, sœur de Jean, qui avait obtenu, dès le vivant de son père, des lettres de rescission contre la renonciation portée en son contrat de mariage à toutes successions, tant directes que collatérales, voyant son frère Jean possesseur de tous les biens, résolut de se les faire restituer, et se détermina à reprendre la poursuite de l'inceste, prétendant que ce crime excluait le coupable de toutes successions.

L'affaire fut évoquée au parlement de Paris. Singareau, pour écraser son beau-frère sous le poids des accusations, fit instruire en même temps du bris de prison dont on prétendait qu'il s'était rendu coupable. Il y joignit une plainte en violences exercées par l'accusé contre son frère, le maître des requêtes, et s'inscrivit en faux contre le testament de ce magistrat. Il est facile de voir que Singareau était plutôt mu par l'amour de l'or que par celui de la justice.

Un double procès s'engagea: l'un criminel relativement à l'inceste, l'autre civil pour le testament du maître des requêtes, attaqué comme faux et supposé, par Singareau et sa femme. Jean de Bermondet fut obligé de se constituer prisonnier, et reçut défense de vendre ou aliéner aucun des biens provenant de la succession de son frère. L'instruction dura six années, pendant lesquelles l'accusé obtint quelques mains-levées sur ses revenus et sur ceux de la succession de son frère.

Cependant la dame Singareau étant tombée malade, ses fils poursuivirent le procès contre leur oncle. Celui-ci les attaqua comme coupables de l'assassinat commis sur la personne d'un nommé Cerbier, qui était occupé à solliciter pour lui. Ils soutinrent que c'était lui-même qui avait ajouté ce crime aux autres crimes dont il était déjà coupable, et qu'il n'avait eu d'autre but que de se défaire d'eux en les faisant monter à l'échafaud par suite de cette accusation calomnieuse. Quoi qu'il en soit, ils se justifièrent et obtinrent des dommages et intérêts.

Enfin un arrêt du dernier jour de juillet 1585 déclara bonne et valable la première procédure, faite à Saintes; confirma le testament du sieur de Bermondet père; annula celui du maître des requêtes, et rejeta la requête civile obtenue par Jean de Bermondet.

Jean fut déclaré atteint et convaincu d'inceste avec sa sœur, d'exactions et de violences, et en conséquence condamné à avoir la tête tranchée en place de Grève; ses biens situés en pays de confiscation furent déclarés confisqués. Il fut exécuté le jour du jugement; et l'on voit dans le journal de l'Estoile qu'il soutint jusqu'à la mort qu'il était innocent de l'inceste pour lequel on l'avait condamné; mais qu'il reconnaissait le juste jugement de Dieu, qui le punissait d'avoir été trois ans sans le prier et sans dire seulement une patenôtre.

La mort de ce misérable ne rétablit pas la paix au sein de cette famille; sa succession, qui n'était point sujette à confiscation, fut un nouveau brandon de discorde entre ses parens, qui se disputèrent sa dépouille avec l'acharnement de la haine et de la cupidité.


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