Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
SUPPLICE D'ANNE DUBOURG,
CONSEILLER AU PARLEMENT DE PARIS.
Sous le règne de Henri II, lorsque la France était gouvernée par les Guises, on nomma des inquisiteurs qu'on admit pour juges dans les procès extraordinaires que l'on faisait à ceux de la religion prétendue réformée; ces inquisiteurs étaient des prêtres. L'un d'eux, le fameux Mouchy, pour qui l'on inventa le sobriquet de mouchards donné aux espions, suborna deux jeunes gens pour déposer que les prétendus réformés avaient fait, le jeudi saint, une assemblée dans laquelle, après avoir mangé un cochon en dérision du sabbat, ils avaient éteint les lampes et s'étaient abandonnés, hommes et femmes, à une prostitution générale. Sur cette déposition, les protestans furent en proie à toutes les rigueurs de la justice ecclésiastique, on institua des chambres ardentes pour les juger, et les flammes des bûchers exécutaient les jugemens.
Ces supplices excitèrent enfin la pitié, et quelques membres du parlement pensèrent que l'église devait plutôt réformer ses abus que faire brûler des hommes.
Au mois d'avril 1559, dans une assemblée qu'on nomme mercuriale, les plus savans et les plus modérés du parlement proposèrent d'user de moins de cruautés, et de chercher à réformer l'église. Anne Dubourg appuya surtout cet avis avec chaleur. Un de leurs confrères, sans respect pour son serment de conseiller, qui est de tenir secrètes les délibérations de la cour, sans égards pour l'honneur et l'équité, les dénonça au roi.
Henri II, excité par les Guises qui régnaient sous son nom, se rendit au parlement sans être attendu, le 15 juin 1559. Il était accompagné du cardinal Bertrandi, garde des sceaux, du connétable de Montmorency, et de plusieurs autres grands officiers de la couronne. Instruit que la délibération roulait sur la conduite à tenir à l'égard des réformés, le roi voulut que l'on continuât à parler en sa présence: c'était un piége tendu à la loyauté des conseillers: plusieurs y tombèrent. Dubourg parla avec plus de véhémence que ses confrères; il montra combien il était affreux de voir régner à la cour l'adultère, la débauche, la concussion, l'homicide, tandis qu'on livrait à la mort des citoyens qui servaient le roi selon les lois, et Dieu selon leur conscience.
Dubourg était un magistrat intègre, homme d'une vie irréprochable, et bon citoyen. Il était diacre, et ses études théologiques l'avaient conduit à adopter l'opinion des réformateurs.
Le roi donna au connétable l'ordre de l'arrêter ainsi que plusieurs autres conseillers qui avaient parlé dans le même sens. Les présidens aux enquêtes, Saint André et Minard, tant pour prouver leur zèle que pour satisfaire leur haine personnelle, poursuivirent la mort d'Anne Dubourg. Comme ce conseiller était diacre, il fut d'abord jugé par l'évêque de Paris du Bellai, assisté de l'inquisiteur Mouchi. Il appela comme d'abus de la sentence de l'évêque, et réclama la faculté d'être jugé par ses pairs. Cette justice lui fut refusée. Il fut jugé successivement à l'officialité de Paris, à celle de Sens et à celle de Lyon, et condamné par toutes les trois à être dégradé et à être livré au bras séculier comme hérétique.
On le mena d'abord à l'officialité; là, étant revêtu de ses habits sacerdotaux, on les lui arracha l'un après l'autre. Après cette cérémonie, on le ramena à la Bastille, et des commissaires du parlement que ses persécuteurs avaient choisis, le condamnèrent à être étranglé et brûlé.
Il entendit son arrêt avec résignation et courage, et dit à ses juges: «Éteignez vos feux, renoncez à vos vices, convertissez-vous à Dieu.» Ce malheureux, victime du fanatisme et de l'iniquité, fut pendu et brûlé dans la place de Grève. Il déclara, à la potence, qu'il mourait serviteur de Dieu, et ennemi des abus de l'église de Rome.
Le supplice d'Anne Dubourg fit plus de prosélytes protestans en un jour que les livres et les prédications n'en avaient fait pendant plusieurs années.