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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

Blaise de Lasseran-Massencome, seigneur de Montluc, fut, pour la bravoure et la cruauté, le digne pendant du baron des Adrets. Sa valeur lui mérita le bâton de maréchal de France en 1574; et sa mémoire eût passé avec honneur à la postérité, s'il ne l'eût pas souillée par des actes de férocité qui la rendent à jamais odieuse.

Il avait été nommé, le 9 juillet 1564, lieutenant-général au gouvernement de Guienne, mais il était bien éloigné d'avoir les qualités qu'exigeaient d'aussi importantes fonctions; car, comme il le dit lui-même dans ses Commentaires, son naturel tendait plus à remuer les mains qu'à pacifier les affaires; aimant mieux frapper et jouer des couteaux que faire des harangues. Les troubles occasionés par la diversité des opinions religieuses et par l'ambition de quelques courtisans, exaltèrent ses dispositions à la cruauté. Il abusa de l'autorité que la cour lui avait confiée, en se livrant à des actes sanguinaires qui ne firent qu'allumer, au lieu d'éteindre le feu de la guerre civile.

Au reste, il s'est peint lui-même sous les couleurs les plus odieuses, et il n'est pas probable qu'il se soit plu à se calomnier. Il ne s'accuse pas, mais il se vante de plusieurs actes d'injustice et de cruauté qui font horreur, et rend croyable tout le mal que ses ennemis ont raconté de lui.

Un jour ayant appris que quelques protestans avaient parlé avec irrévérence du roi Charles IX, il les fit attacher dans un cimetière. Voici son récit à ce sujet: «J'avais les deux bourreaux derrière moi, bien équipés de leurs armes, et surtout d'un marassan bien tranchant. De rage, je sautai au cou de ce Verdier (l'un des protestans), et lui dis: O meschant paillard, as-tu bien osé souiller ta meschante langue contre la majesté du roi? Il me répondit: Ha! monsieur, à pécheur miséricorde! Alors la rage me prit plus que devant, et lui dis: Meschant, veux tu que j'aye miséricorde de toi, et tu n'as point respecté ton roi? Je le poussai rudement en terre, et dis au bourreau: Frappe, vilain. Ma parole et son coup fust aussitôt l'un que l'autre....... Je fis pendre les deux autres à un orme qui était tout contre.» Il en restait un quatrième, Montluc ne voulut pas le faire mourir, parce qu'il n'avait que dix-huit ans. «Mais, dit-il, je lui fis bailler tant de coups de fouet par les bourreaux, qu'il me fust dit qu'il en était mort; et voilà la première exécution que je fis au sortir de ma maison, sans sentence ni escriture.»

Les protestans de Cahors, autorisés par les édits de pacification, s'étaient assemblés dans une maison pour célébrer leur culte. Les catholiques mirent le feu à cette maison. Plusieurs protestans périrent dans les flammes, et ceux qui cherchaient à s'échapper, étaient massacrés au-dehors. La cour nomma des commissaires pour informer à l'occasion de ce massacre, et en punir les auteurs. Plusieurs chanoines de la cathédrale, et surtout l'archidiacre Viole, en furent déclarés coupables. Montluc, instruit que la sentence allait être prononcée, arrive à Cahors, entre dans la salle des commissaires au moment où le président allait lire la sentence. Il le menace de le tuer, s'il en commence la lecture. «Dès le premier mot qu'il ouvrira la bouche, je le tuerai.» Il lui dit ensuite: «Je te pendrai moi-même de ma main; car j'en ai pendu une vingtaine de plus gens de bien que toi. Je te pendrai toi et tes compagnons aux fenestres de cette maison.» Et dit à M. de Burie: «Laissez-moi tuer tous ces meschants traistres au roi.» Sur quoi je tirai mon épée, et les eusse bien gardés de faire sentence ni arrest; mais M. de Burie me sauta au bras, et me pria de ne le point faire, et alors tous gagnèrent la porte, et se mirent en fuite...... Je voulais aller après les tuer.... Je crois que j'en aurais étranglé quelqu'un.» Quelque temps après, il fit pendre aux fenêtres de la maison de ville de Villefranche deux protestans que les mêmes commissaires avaient déclarés absous. Il ne marchait qu'accompagné de deux bourreaux. «Je recouvrai, dit-il, deux bourreaux, lesquels, depuis, on appela mes laquais, parce qu'ils étaient souvent avec moi.» Un ministre protestant vint un jour implorer sa justice. «Je commence à jurer, dit Montluc, et l'empoignai au collet, lui disant: Je ne sais qui me tient que je ne te pende moi-même à cette fenestre, paillard; car j'en ai étranglé de ma main une vingtaine de plus gens de bien que toi.»

Autant de protestans il rencontrait, autant il en faisait pendre ou poignarder. Il en découvrit qui s'étaient réfugiés à Gironde. «Je les fit attraper, dit-il, et pendre soixante-dix aux piliers des halles, sans autre cérémonie.» Sa route était marquée par les nombreux cadavres de ceux qu'il faisait pendre aux arbres. C'est encore lui-même qui se glorifie de cette cruauté. «On pouvait connaître par là où j'étais passé, car, par les arbres sur le chemin, on trouvait les enseignes.»

Il serait trop long de rapporter tous les traits qui, dans ses propres Mémoires, caractérisent défavorablement l'âme de Montluc. «Il apprenait, dit un historien, à ses enfans à être tels que lui, et à se baigner dans le sang, dont l'aîné ne s'épargna pas à la saint Barthélemy.»

Cet homme farouche fut blessé à l'assaut de Rabasteins, d'une arquebusade qui lui perça les deux joues, et lui enleva une partie du nez; il cacha sous un masque, le reste de sa vie, ses traits déchirés à la guise de ses victimes; il eut l'intention de finir ses jours dans un ermitage, au haut des Pyrénées, comme les ours. Il mourut en 1577, âgé de 77 ans.

Le fameux connétable de Montmorency avait aussi beaucoup de cette férocité, mêlée à une grande dévotion. «On disait aux armées qu'il se fallait garder des patenôtres de M. le connétable, car en les disant en murmurant, il disait: «Allez-moi prendre un tel; attachez celui-là à un arbre; faites passer celui-là par les picques tout à cette heure, ou les arquebusez tous devant moi; taillez-moi en pièces tous ces marauds qui ont voulu tenir et clocher contre le roy, brûlez-moi ce village; boutez-moi le feu partout à un quart de lieue à la ronde.»

Telles étaient, en général, les mœurs des prétendus grands hommes de cette époque. C'était le temps de l'apprentissage des massacreurs de la saint Barthélemy.


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