Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
CRIMES ET CRUAUTÉS
DE GUILLAUME TALVAS,
COMTE D'ALENÇON ET DE BELESME.
Suivant les chroniques de Normandie, cette famille de Belesme, sembla traîner à sa suite la cruauté, l'impiété, la tyrannie. Guillaume Talvas, ours en cruauté, mais timide comme un lièvre, et qui n'avait rien d'humain que la face, voyant que le duc de Normandie, encore trop jeune, ne pouvait songer à tenir la loi en vigueur, fit deux actions qui prouvaient sa scélératesse et sa lâcheté.
Il avait épousé Hildeburge, fille d'un noble et vertueux chevalier, nommé Arnulphe; cette femme réunissait toutes les qualités nécessaires pour se faire aimer. Néanmoins, comme sa grande piété la poussait trop fréquemment à blâmer son mari de ses actions perverses et dénaturées, et que ses reproches l'importunaient, il résolut de s'en affranchir. Un matin qu'elle se rendait à la messe, il la fit prendre par deux de ses brigands soldés et leur ordonna de l'étrangler, au milieu de la rue, en présence de tout le peuple.
Cette action, digne des antropophages, ne tarda pas à être suivie d'une autre qui semble encore plus cruelle. Peu de jours après cet assassinat, Talvas demanda en mariage la fille du vicomte de Beaumont. Cette demande fut agréée dans l'espérance que Talvas ne traiterait pas sa seconde femme comme il avait fait la première. Le jour arrêté pour la célébration des noces, il invite tous les seigneurs ses amis et voisins, entr'autres Guillaume Giroye comte de Montreuil et baron d'Eschauffou, auquel il avait de grandes obligations, pour en avoir été secouru en plusieurs circonstances. Or ce Giroye avait un frère, nommé Raoul, et surnommé Malle-couronne, parce qu'il avait quitté la cléricature pour la carrière des armes. C'était un homme très-lettré et singulièrement versé dans la connaissance des secrets de l'astrologie judiciaire. Le jour que Talvas avait invité son frère à venir à ses noces, Raoul avait découvert, par la puissance de son art, que le comte de Montreuil était menacé d'un grand malheur qu'il ne pourrait éviter, s'il assistait aux noces de cet homme dénaturé. Il conjura donc son frère, de ne pas s'y rendre. Mais ses avis et ses prières furent inutiles. Guillaume Giroye, au-dessus de la crainte, partit pour Alençon, accompagné seulement de douze de ses serviteurs. Talvas lui fit une flatteuse réception et le traita splendidement pendant plusieurs jours: puis il le fit secrètement arrêter, à l'insu de tous ceux qui assistaient aux noces, et le fit emprisonner étroitement. Après un banquet magnifique, il emmena toute la compagnie à la chasse, moins pour le plaisir lui-même, que pour donner le temps à ses satellites d'exécuter ses ordres à l'égard du comte de Montreuil. Ces bourreaux que la cruauté avait allaités de sang et nourris de carnage, obéirent ponctuellement à leur maître; ils conduisirent le prisonnier innocent hors du château; et là, sous les yeux du peuple d'Alençon fondant en pleurs, et maudissant leur seigneur, ils crevèrent les yeux au malheureux comte de Montreuil, et lui coupèrent le nez, les oreilles et les parties génitales.
Ainsi mutilé et défiguré, Guillaume Giroye s'alla réfugier dans le monastère du Bec, et se fit moine sous le vénérable abbé Hessoin, vers l'an 1045. Plusieurs gentilshommes touchés de l'injure qu'il avait reçue, se joignirent à ses deux frères, Raoul Malle-couronne et Robert, et vinrent ravager, piller, incendier sur les terres de Talvas, espérant le forcer de se mettre en campagne; mais celui-ci, aussi lâche que cruel, renfermé dans un château fortifié, n'eût jamais le courage d'en sortir; et ses crimes seraient restés impunis, si son propre fils, digne en tout de son origine, ne se fut chargé de son châtiment. Ce fils nommé Arnulphe, arma toute la noblesse contre son père et le chassa honteusement de ses villes et châteaux, le forçant de traîner une vie misérable et vagabonde.
«Si la cruauté de Guillaume Talvas fut grande, dit le chroniqueur normand, l'impiété de son fils la passe de bien loin, et Dieu ne laissa ni l'un ni l'autre impuni. Un jour comme Arnulphe était à la picorée, il prit le petit cochon d'une religieuse qui vivait dans la forest Utique près St.-Euroult, et importuné de le lui rendre, il commanda à son cuisinier de le tuer et l'apprester pour son souper; ce fut son dernier repas; car soit pour punition du sacrilége, ou pour tout autre sujet inconnu, il fut la nuit même trouvé étranglé dans son lit.»
Mabile de Talvas, qui épousa le comte de Montgommery, vicomte d'Hyesme, ne démentit nullement sa race et causa la mort de plusieurs de ses proches, en leur administrant des poisons qu'elle préparait elle-même.