Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
MARGUERITE DE BELLEVILLE,
OU LA MAGICIENNE DE PARIS.
La superstition, qui a tant de prise sur le cœur de l'homme, fit long-temps croire aux opérations magiques. Jusque sous le règne de Louis XIV, on vit des parlemens, composés d'hommes graves et plus instruits que le vulgaire, condamner, de bonne foi, de prétendus sorciers au supplice du feu. Quelle devait être la crédulité, à cet égard, dans les siècles antérieurs?
Lorsqu'on voulait estropier, faire languir ou mourir un individu dont on ne pouvait facilement approcher, on composait un vœu ou volt, et on l'envoultait. Voici en quoi consistait l'envoultement: on fabriquait une image en terre, le plus souvent en cire, et autant que possible, on la façonnait à la ressemblance de la personne à laquelle on voulait nuire; de plus, on donnait à cette image le nom de cette personne, en lui faisant administrer par un prêtre et avec les cérémonies et prières de l'église le sacrement de baptême; on l'oignait aussi du saint-chrême; on proférait ensuite sur cette image certaines invocations ou formules magiques.
Toutes ces cérémonies terminées, la figure de cire ou le volt se trouvant, suivant l'opinion de ceux qui l'avaient fabriquée, en quelque sorte identifiée avec la personne dont elle avait la ressemblance et le nom, était à leur gré torturée, mutilée, ou bien ils lui enfonçaient un stylet à l'endroit du cœur. On était persuadé que tous les outrages faits, tous les coups portés à cette figure, étaient ressentis par la personne dont elle portait le nom.
Les registres criminels du parlement de Paris qui ont été explorés par M. Dulaure, que nous copions presque textuellement, parlent d'une affaire curieuse relative à cette sorte d'enchantement.
En 1319, Marguerite de Belleville, magicienne de Paris, dite la sage femme, déclara au parlement qu'une demoiselle (femme noble) nommée Méline la Henrione, veuve de Henrion de Tartarin, épouse en secondes noces de Thevenin de la Lettière, chevalier, était venue lui demander une chose pour faire périr son mari. Marguerite de Belleville lui répondit qu'elle s'en occuperait, et que son mari, qui allait aux joûtes et tournois, tomberait mort de son cheval; elle ajouta que cette demoiselle, surprise par son valet, fut effrayée et jeta la chose, ce qui l'empêcha d'en faire usage.
Quelque temps après, la demoiselle Méline vint de nouveau s'adresser à Marguerite de Belleville; elle s'était adjoint un prêtre nommé Thomas, chapelain en Marcilly. Tous trois composèrent contre le mari de Méline un volt. Le prêtre baptisa ce volt, et lui oignit le front avec du saint-chrême; il déclara que le volt ne vaudrait rien si on ne l'oignait trois fois du saint-chrême. Cette même Méline revint une autre fois chez la magicienne Marguerite de Belleville; elle y parut accompagnée de plusieurs personnes: d'un ermite, appelé frère Regnaud, demeurant à l'ermitage de Saint-Flavy, près Villemort en Champagne; d'un religieux jacobin du couvent de Troyes, nommé Jean Dufay, et d'une femme, dite Perrotte la baille de Poissy, ou femme du bailli de ce lieu. Tous les cinq, d'après la demande de Guischard, évêque de Troyes, concoururent à la composition d'un volt dans le dessein de faire mourir la reine Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe-le-long, dont nous rapporterons les impudicités à l'article des trois reines adultères.
Le volt achevé, le frère jacobin le baptisa, et lui donna le nom de Jeanne: la femme Perrotte fut la marraine.
La magicienne Marguerite de Belleville déclara dans son interrogatoire qu'elle ignorait d'abord le nom de la personne contre laquelle se faisait le volt, qu'elle n'en fut instruite que quinze jours après. Elle déclara aussi qu'elle était charmeresse, qu'avec certaines paroles elle faisait retrouver les objets perdus. Elle fut mise dans les prisons du Châtelet. On ignore quel fut son châtiment.