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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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DUEL DU CHEVALIER CLARY.

Le sire de Clary, au quatorzième siècle, faillit monter sur l'échafaud, pour avoir fait preuve de bravoure contre un Anglais sans l'autorisation du roi.

Pierre de Courtenay, chevalier anglais, était venu à Paris pour défier, à la lance et à l'épée, Guy de La Trémouille, porte-oriflamme, qui passait pour un des hommes de France des plus braves et des plus adroits. Lorsqu'ils eurent rompu plusieurs lances l'un contre l'autre, en présence de toute la cour, le roi ne voulut pas permettre qu'ils se battissent à l'épée, puisqu'il n'y avait entre eux qu'une émulation de gloire, et qu'aucun sujet de querelle ne leur avait mis les armes à la main. Courtenay, en s'en retournant, passa chez la comtesse de Saint-Pol, sœur du roi d'Angleterre; il y répéta plusieurs fois qu'aucun Français n'avait osé s'éprouver contre lui. «Le sire de Clary, dit la Chronique de Saint-Denis, crut qu'il était de son honneur de faire sa querelle de l'injure que ce bravache faisait à sa nation, et lui proposa, du consentement même de la comtesse, le champ clos pour le lendemain, et s'y porta si vaillamment, qu'il le mit hors de combat tout chargé de coups.» «Il n'y a personne, ajoute la Chronique, qui n'estime cette action digne d'un parfait chevalier, et qui ne demeure d'accord qu'il châtia justement l'orgueil de cet Anglais; mais les jugemens de la cour ne s'accordent pas toujours avec le mérite des personnes; il y a des intérêts particuliers qui en décident tout autrement que le public. Le duc de Bourgogne, qui enviait au sire de Clary la gloire qu'il avait enlevée à La Trémouille, son favori, changea l'espèce de l'affaire; il dit que c'était un crime impardonnable à un particulier d'avoir osé prendre une journée sans la permission du roi, et le fit poursuivre avec tant de rigueur, que ce brave chevalier fut long-temps en peine; et je l'ai vu chercher sa sûreté tantôt de çà, tantôt de là, de crainte que ce qu'il n'avait entrepris que pour la gloire de l'état ne fût expié dans son sang, comme s'il avait trahi la patrie.»

La sœur de Guillaume Fouquet, écuyer de la reine Isabeau de Bavière, osa faire mettre sur sa maison, à la gloire du sire de Clary, son parent, un monument de deux pieds en carré, où l'on avait gravé différentes figures; les principales étaient celles d'un homme renversé de cheval, et d'un autre à qui une dame mettait sur la tête un chapeau de roses. On lisait au haut ces mots: Au vaillant Clary; et au bas: En dépit de l'envie. Ce monument subsista long-temps sur la porte de la maison qui fait le coin de la rue Zacharie et de la rue Saint-Severin.


PROCÈS INIQUE
DE JACQUES CŒUR.

Jacques Cœur, fils d'un négociant de Bourges, fut d'abord maître des monnaies de cette ville; il devint ensuite argentier du roi Charles VII, c'est-à-dire trésorier de l'épargne.

Cet habile homme servit aussi bien le roi dans les finances que les Dunois, les Lahire, et les Saintrailles, par les armes. Il prêta deux cent mille écus d'or à Charles VII pour entreprendre la conquête de la Normandie, que ce monarque n'aurait jamais reprise sans le secours de Jacques Cœur.

Il avait établi le plus grand commerce qu'aucun particulier ait jamais embrassé; son négoce s'étendait dans toutes les parties du monde, en Orient avec les Turcs et les Persans, en Afrique avec les Sarrasins. Ses vaisseaux sillonnaient les mers dans tous les sens; trois cents facteurs, établis en divers lieux, recevaient ses envois et ses commandes, et le secondaient dans ses opérations immenses. Il n'y eut, depuis lui, que le seul Cosme de Médicis qui l'égalât.

Ce grand citoyen, par ses travaux, soutenait la gloire du trône, et préparait la prospérité du pays. Mais les immenses richesses qu'il avait acquises excitaient l'envie d'un grand nombre de courtisans qu'importunait aussi le crédit dont Jacques Cœur jouissait auprès du roi.

Charles VII l'ayant choisi, en 1448, pour faire partie des ambassadeurs envoyés à Lausanne pour terminer le schisme de Félix V, ses ennemis profitèrent de cette absence pour le perdre. Le roi, aussi lâchement ingrat à l'égard de Jacques Cœur, qu'il l'avait été pour Jeanne d'Arc, prêta l'oreille aux accusations dirigées contre cet illustre citoyen, et l'abandonna à l'avidité des courtisans qui voulaient se partager ses dépouilles.

Au retour de son ambassade, il fut mis en prison. Le parlement lui fit son procès, et le condamna à l'amende honorable, et à payer quatre cent mille écus, indépendamment de la confiscation de ses biens et du bannissement perpétuel. On l'accusa de concussion; on osa même lui attribuer la mort d'Agnès Sorel, qui, disait-on, avait été empoisonnée. Mais on ne put rien prouver contre lui, sinon qu'il avait fait rendre à un Turc un esclave chrétien, lequel avait quitté et trahi son maître, et qu'il avait fait vendre des armes au soudan d'Égypte. Ce fut sur ces deux actions, dont l'une était permise et l'autre vertueuse, que les juges prononcèrent sa condamnation.

Jacques Cœur trouva dans ses commis une droiture et une reconnaissance qui font l'éloge de son caractère, et qui furent pour lui un dédommagement des persécutions intéressées des courtisans, et de l'injuste oubli de son roi. Ils se cotisèrent presque tous pour l'aider dans sa disgrâce. L'un d'entre eux, nommé Jean de Village, qui avait épousé sa nièce, l'enleva du couvent des cordeliers de Beaucaire, où il avait été transporté de Poitiers, et lui facilita les moyens de se sauver à Rome. Le pape Calixte III, qui connaissait son rare mérite, lui ayant donné le commandement d'une partie de la flotte qu'il avait armée contre les Turcs, Jacques Cœur mourut en arrivant à l'île de Chio, sur la fin de l'année 1456. Dans la suite une partie de ses biens fut restituée à ses enfans.

«Je ne pense point, dit Pasquier, que la France ait jamais porté homme qui, par son industrie, sans faveur particulière du prince, soit parvenu à de si grands biens comme Jacques Cœur. Il était roi, monarque, empereur en sa qualité..... Or, quant à son procès, si les juges n'y eussent passé, je dirais presque que c'était une calomnie; mais je ne mentirai point quand je dirai que la jalousie des grands qui étaient près de Charles septième, lui trama cette tragédie.»


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