Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
LES TROIS REINES ADULTÈRES.
Les mœurs dissolues du quatorzième siècle se trouvent pour ainsi dire résumées dans l'histoire des trois princesses qui épousèrent les trois fils de Philippe-le-Bel; Marguerite de Bourgogne, femme de Louis dit le Hutin, fille de Robert II, duc de Bourgogne; Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe-le-Long, fille d'Othon IV, comte palatin de Bourgogne; et Blanche sa sœur, qui épousa le comte de la Marche, depuis roi de France sous le nom de Charles-le-Bel.
La cour de France était alors le théâtre des plus hideuses débauches; on y affichait le mépris des bienséances, et les dames se faisaient gloire de se dépouiller du plus bel ornement de leur sexe, la pudeur. Les trois princesses dont nous venons de parler étaient belles, jeunes, sensibles à l'aiguillon de la volupté; elles suivirent le torrent, et donnèrent bientôt des exemples scandaleux dans un temps où on ne scandalisait pas facilement. C'était à l'abbaye de Maubuisson que se passaient les scènes du libertinage des princesses. Marguerite et Blanche furent convaincues d'adultère avec deux frères, Philippe et Gaultier d'Aulnay. Ils avaient intéressé dans leurs débauches l'huissier de la chambre de la reine de Navarre, confident et complice de ces désordres. Philippe passait pour l'amant de Marguerite, Gaultier pour celui de Blanche, comtesse de la Marche.
Louis-le-Hutin, qui venait de monter sur le trône, leur fit faire leur procès comme à des traîtres et à des scélérats coupables du crime de lèze-majesté. L'huissier, entremetteur de ces criminelles galanteries, fut condamné à être attaché au gibet; mais Philippe et Gaultier furent traités plus cruellement. Ils furent tous les deux mutilés et écorchés vifs. Ils eurent ensuite la tête coupée, et leurs corps furent pendus par dessous les bras, leurs têtes placées sur des piliers. Cette exécution eut lieu à Pontoise. «Exemple terrible, dit Dreux du Radier, qu'il eût peut-être été plus sage de ne pas donner, mais qu'on crut nécessaire pour arrêter l'audace de quiconque serait capable de se porter à un pareil attentat contre la majesté du trône et l'honneur de son souverain.»
On fit des recherches sévères sur la conduite de tous ceux qui avaient été dans la familiarité de Marguerite, de Blanche et de Jeanne de Bourgogne, et plusieurs personnes furent arrêtées ou sur des preuves ou sur des soupçons, et condamnées à la torture. Parmi les coupables se trouva un moine de l'ordre des frères prêcheurs qui fut accusé de distribuer de ces remèdes qui, en détruisant les fruits malheureux de l'incontinence par un plus grand crime, invitent au désordre celles qui n'en appréhendent que les suites visibles. Ce moine fut d'abord conduit à Avignon, où l'on informa contre lui; il fut ensuite condamné à mort et exécuté.
Quant à Marguerite et aux princesses ses belles-sœurs, elles furent renfermées; Marguerite et Blanche au Château-Gaillard, et Jeanne au château de Dourdan. Soit que Marguerite fût la plus coupable, soit que Louis-le-Hutin fût le plus sévère, Marguerite fut étranglée avec une serviette en 1315; elle avait vingt-cinq à vingt-six ans. Selon quelques historiens, cette reine avait un tempérament si emporté, que quand elle voyait un homme de bonne mine elle le faisait mener dans son appartement, d'où il ne sortait que pour être précipité dans la Seine, afin qu'il ne publiât pas ses débordemens.
Blanche de Bourgogne, qui, au jugement de Froissard, fut l'une des plus belles dames du monde, demeura renfermée au Château-Gaillard jusqu'en 1325; à cette époque, elle obtint la permission de prendre le voile dans l'abbaye de Maubuisson, où elle acheva d'expier ses fautes passées par une austère pénitence; elle y mourut en 1326.
Jeanne trouva dans son époux moins d'emportement, plus de penchant à la clémence. Philippe, prince sérieux, appliqué aux affaires, était d'ailleurs d'un caractère doux et plein d'affabilité. Il fit d'abord reléguer sa coupable épouse au château de Dourdan, et environ un an après il lui pardonna, la reprit, et vécut avec elle sans qu'il parût avoir conservé aucun souvenir du passé. Cette bonne intelligence dura jusqu'à la mort du roi, qui arriva le 3 janvier 1321.
Cette reine, pendant les huit années de son veuvage, séjourna au fameux hôtel de Nesle qui lui appartenait. L'histoire l'accuse d'horreurs semblables à celles que l'on impute à Marguerite de Bourgogne. Elle appelait les jeunes écoliers qui avaient le malheur de passer sous ses fenêtres, et après avoir assouvi avec eux sa luxure effrénée, elle les faisait jeter du haut de la tour de Nesle dans la Seine.
Voici ce que dit Brantôme à ce sujet: «Elle se tenait à l'hôtel de Nesle à Paris, laquelle faisait le guet aux passans, et ceux qui lui revenaient et agréaient le plus, de quelque sorte de gens que ce fussent, les faisait appeler et venir à soi, et, après en avoir tiré ce qu'elle en voulait, les faisait précipiter du haut de la tour qui paraît encore, en bas, en l'eau, et les faisait noyer. Je ne veux pas dire que cela soit vrai, mais le vulgaire, au moins la plupart de Paris, l'affirme; et il n'y a si commun, qu'en lui montrant la tour seulement et en l'interrogeant, qui de lui-même ne le die.»
Le poète Villon, qui écrivait au quinzième siècle, dans un temps plus rapproché de l'événement, donne quelques autres détails, et nous apprend que les malheureuses victimes de la luxure de cette princesse étaient renfermées dans un sac, puis jetées dans la rivière.
Jeanne de Bourgogne mourut à Roye le 20 janvier 1329.