Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
ASSASSIN TUÉ PAR SA VICTIME.
Lors des troubles de la ligue, la Provence fut loin d'être exempte des fureurs de la guerre civile. Les catholiques et les protestans rivalisèrent d'acharnement et de cruauté. Henri, bâtard de Valois, comte d'Angoulême, grand-prieur de France, était gouverneur de cette province. Il poursuivit les ligueurs avec fermeté, et se fit un assez grand nombre d'ennemis. Soit que sa conduite ne fût point à l'abri de la censure, soit que la calomnie cherchât à le perdre, on fit contre lui des plaintes qui parvinrent jusqu'au trône: les plus vives furent celles de Philippe Altovitis, capitaine des galères.
Ce gentilhomme, originaire de Florence, était mari de Rénée de Rieux, surnommée la belle de Châteauneuf, qui avait été maîtresse du roi Henri III, et qui n'avait consenti à cette alliance que parce qu'elle n'en avait point trouvé de plus brillante. Cette femme avait tué de sa propre main son premier mari, nommé Antinotti. Elle était alors à la cour, où elle conservait par sa beauté, encore plus que par sa naissance, le crédit qu'elle y avait acquis par ses criminelles faiblesses. Elle voyait souvent la reine, qui n'aimait point le grand-prieur, parce qu'il était ennemi de la faction qu'elle protégeait.
Altovitis écrivant un jour à sa femme, lui mandait que ce gouverneur opprimait le pays par ses exactions, et que, pour se rendre nécessaire, il prolongeait une guerre qu'il était en son pouvoir de terminer.
Altovitis était alors à Aix pour l'assemblée des états. Sa lettre tomba entre les mains du roi ou du ministre, et fut renvoyée au grand-prieur, qui, après en avoir pris lecture, ne put maîtriser sa colère.
Dans son premier transport, oubliant ce qu'il devait à son rang et à sa naissance, ce qu'il se devait à lui-même, il court, l'air effaré, tout bouillant de fureur, à l'auberge où logeait Altovitis: il entre précipitamment dans sa chambre, et, lui lançant un regard foudroyant, il lui crie en lui montrant sa lettre: As-tu écrit cela? Altovitis n'a pas le temps de se remettre, de répondre un seul mot. Le grand-prieur fond sur lui l'épée à la main, et lui en porte deux coups. Altovitis, aussi effrayé que surpris, lui demande la vie. Le grand-prieur redouble; alors Altovitis, rassemblant le peu de force qui lui restait, et poussé par le désespoir, frappe le gouverneur d'un coup de poignard dans le ventre: celui-ci, se sentant grièvement blessé, s'écrie en tombant: Je suis mort, Altovitis me tue.
A ces cris quelques gentilshommes de sa suite, qui étaient à portée de l'entendre, accourent, et, voyant le grand-prieur baignant dans son sang, se précipitent, transportés de rage, sur Altovitis, qui perdait le sien par ses blessures, achèvent ce malheureux et jetent son cadavre par la fenêtre.
Le grand-prieur ne survécut pas long-temps à sa victime. Il ignorait que sa blessure fût mortelle; on lui en dissimulait même le danger; mais un cordelier qui lui servait de confesseur lui ayant dit nettement qu'il ne fallait plus songer à la vie, le grand-prieur lui répondit sans émotion: Il ne faut plus songer à vivre? Eh bien! pensons donc à mourir. Il expira le lendemain 2 juin 1586, ayant terni par un indigne assassinat une vie qu'il aurait pu illustrer par ses brillantes qualités.
Suivant Anselme, ce prince avait été un de ceux qui avaient assisté à l'affreuse résolution de la journée de la Saint-Barthélemy, et fut, avec le duc de Guise, celui qui donna les ordres pour cette horrible boucherie. Nous apprenons même du président de Thou que, pour être bien assuré du meurtre de l'amiral de Coligny, il lui essuya le visage avec un mouchoir, et que, l'ayant reconnu, il lui donna un coup de pied, en ajoutant à cette barbare action ces mots qu'il adressait à ceux qui étaient avec lui: Courage, mes amis, nous avons bien commencé, finissons de même.