Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
LE CARDINAL DE BALUE.
On vient de voir que Louis XI choisissait presque toujours ses ministres et ses plus intimes confidens parmi les hommes de la plus basse extraction. Un des favoris de ce monarque, très-digne valet d'un tel maître, fut Jean Balue, fils d'un pauvre meunier du Poitou. Dévoré d'ambition, d'un caractère bas et rampant, Jean Balue avait embrassé l'état ecclésiastique comme étant le moyen le plus sûr de s'insinuer auprès des grands, et de parvenir plus tôt aux honneurs et à la fortune.
Il s'était attaché pendant quelque temps à Juvénal des Ursins, évêque de Poitiers, qui l'avait fait son exécuteur testamentaire, et dont il trouva le moyen de s'approprier une grande partie de la succession. Jean Balue, après cette première forfaiture, vint à Angers, trouver Jean de Beauvau, qui en était évêque. Celui-ci, trompé par les manières insinuantes et par le langage patelin de Balue, le prit en affection, le nomma son grand-vicaire, et lui donna un canonicat dans son église. L'extérieur modeste et simple de ce tartufe en imposait à tout le monde. Il capta la bienveillance de Charles de Melun, grand-maître de France, qui, trompé comme les autres, le présenta au roi Louis XI, comme un sujet d'un mérite distingué, et capable de servir utilement l'état.
Par analogie de caractère, Jean Balue plut au monarque, qui bientôt le fit son aumônier, le gratifia de plusieurs riches abbayes, le nomma ensuite évêque d'Évreux, puis enfin le fit son premier ministre, et le chargea de la distribution des bénéfices ecclésiastiques.
Si, du point où il était parvenu, Balue avait voulu regarder en arrière, et considérer celui d'où il était parti, il aurait pu se croire arrivé au faîte des grandeurs. Mais son insatiable ambition était loin d'être satisfaite; il était devenu l'égal de ceux qui l'avaient protégé, et il ne voulait point d'égaux; la vue de ses protecteurs était un affront pour cet homme pervers; il résolut de les perdre.
Jean de Beauvau, son bienfaiteur, appartenait à l'illustre maison d'Anjou; et à ce titre il était suspect à Louis XI. Balue n'eut pas de peine à persuader à ce prince soupçonneux que Beauvau avait conspiré contre lui. Par ses accusations, il parvint à faire déposer ce prélat, et s'empara de son évêché d'Angers, dont le séjour était plus à sa convenance que celui d'Évreux.
Son ingratitude infernale ne s'en tint pas là; le grand-maître, Charles de Melun, qui l'avait introduit à la cour, devait aussi éprouver sa reconnaissance. Balue lui fit perdre la confiance du monarque, l'accusa d'avoir entretenu des liaisons secrètes avec le duc de Bretagne, et à force d'intrigues, de mensonges et de perfidies, il parvint à faire monter sur l'échafaud, et à faire tomber sous la hache du bourreau la tête de l'homme qui avait le plus contribué à son élévation.
Louis XI, qui ne savait rien refuser à ce scélérat mitré, avait demandé et obtenu pour lui, quoique avec peine, le chapeau de cardinal. Cette nouvelle dignité augmenta encore sa faveur et son insolence; rien ne pouvait plus augmenter son audace. Seul, il voulait gouverner le monarque et son royaume; il se trouvait aux revues des troupes, en faisait dresser les contrôles sous ses yeux, et payait les soldats lui-même. Malgré le mécontentement général, sa faveur fut longue; mais enfin Louis XI, qui, tôt ou tard, finissait par soupçonner tout ce qui l'approchait, lui retira sa confiance. Le cardinal, irrité, se ligua avec les ennemis de son prince, principalement avec le duc de Bourgogne. Le but de ses intrigues était d'arrêter le roi et son frère, le duc de Guyenne, à Péronne; le duc de Bourgogne espérait, par là, se faire roi, et le cardinal pape. Ce projet audacieux fut découvert; les lettres de Balue ayant été interceptées, son crime fut avéré: on l'arrêta; tout autre que lui, aux yeux de Louis XI, eût mérité mille fois la mort; mais, par une sorte de courtoisie que les plus grands malfaiteurs observent souvent entre eux, le roi fit commuer la peine en celle d'une prison perpétuelle.
Le cardinal Balue fut enfermé dans le château d'Angers, dans une de ces cages dont nous avons déjà parlé, et dont l'invention lui appartenait. Celle de Balue existe encore, et mérite d'être conservée comme un des monumens du règne de Louis XI. Jean Balue resta onze ans renfermé dans cette cage, et n'en sortit, au bout de ce temps, que par les instances et les sollicitations réitérées du pape, qui le réclamait comme membre du sacré collége. Ainsi, tandis que tant d'innocentes victimes de l'arbitraire périssaient dans ce supplice d'invention satanique, un homme qui ne reconnaissait ni souverain, ni patrie, ni religion; un homme qui était le type de la trahison et de la perfidie; qui ne s'était élevé aux honneurs que par les degrés du crime, qui avait dépouillé l'un de ses bienfaiteurs, et fait couler le sang de l'autre, obtint grâce, recouvra sa liberté, et alla intriguer à Rome, où il obtint des dignités et des biens qu'il ne méritait pas. Il mourut à Ancône, en 1491. Sa vie, comme on le voit, était un appendice obligé du récit des crimes de son maître Louis XI.