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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LES DEUX BELLES-SŒURS
VICTIMES DE LA JALOUSIE DE LEURS MARIS.

Louis d'Ongnies, comte de Chaulnes, gouverneur de Montdidier, Péronne et Roye, était d'une famille originaire de Flandre. Son père avait épousé Anne Juvenel des Ursins. Louis d'Ongnies était né de ce mariage, ainsi que deux filles, Madeleine dont nous allons parler, et Louise d'Ongnies qui, par la mort de son frère et de sa sœur, devint l'héritière de sa maison. Louis d'Ongnies avait été promu chevalier de l'ordre du Saint-Esprit en 1597.

Il épousa Anne d'Humières, et vécut quelque temps heureux de cette union; mais soit que la calomnie, qui se mêle à tout pour tout empoisonner, eût fait parvenir à son oreille des rapports outrageans pour un mari; soit que la conduite d'Anne d'Humières prêtât réellement aux propos malicieux de la médisance; soit enfin que le caractère du comte fût naturellement porté à cette jalousie sombre et fantasmagorique qui donne une existence réelle aux choses tout-à-fait imaginaires, et qui fait le tourment de ceux qui en sont atteints; Louis d'Ongnies conçut de violens soupçons sur la fidélité de sa femme, et dès lors son cœur couva en silence le désir de s'en venger.

La dissimulation vint au secours du sinistre projet dont il préparait l'exécution. Il feignit d'avoir oublié les motifs du ressentiment qu'il avait fait d'abord éclater, et prodigua à la comtesse les marques d'un véritable attachement. L'infortunée s'applaudissait de cette heureuse métamorphose; elle voyait avec joie se dissiper les nuages qui avaient quelque temps obscurci son bonheur; elle se croyait revenue aux premiers jours de son mariage; elle s'endormait au sein d'une perfide sécurité.

Un jour que le comte s'était montré encore plus affectueux que de coutume, il proposa sur le soir à sa femme de venir respirer le frais dans le jardin du château. La comtesse y consentit avec empressement. La nuit était sombre, la température lourde et étouffante annonçait un orage prochain; le silence n'était troublé que par le coassement des grenouilles et les cris aigus et tristes de quelques oiseaux de nuit. Le comte et la comtesse se promenaient lentement au bord des fossés du château; leur conversation était languissante et sans suite le cœur de Louis d'Ongnies était en proie aux déchiremens du crime. Tout-à-coup l'orage éclate; l'éclair fend la nue à coups redoublés; la foudre remplit les échos de ses roulemens terribles. La comtesse veut rentrer dans le château; elle veut fuir effrayée... Mais son barbare époux vient de prononcer sur son sort... Sans proférer un seul mot, sans lui adresser le moindre reproche, il la saisit dans ses bras, la porte près du parapet, la précipite et la noie dans les fossés. Le bruit continu du tonnerre déroba le bruit de sa chute; et les cris plaintifs que l'on entendit quelques instans après passèrent sans doute auprès des gens du château pour le chant sinistre de quelque chouette du donjon.

La puissance absolue dont jouissaient encore les seigneurs de cette époque put seule soustraire Louis d'Ongnies au châtiment qu'il méritait. Mais il prouva par sa conduite que le crime flétrit l'âme, et que, dépouillée de cette force qui donne le courage, elle devient insensible aux affronts. Quelque temps après son exécrable action, cet homme, qui avait montré de la bravoure en plusieurs occasions, se laissa provoquer, et refusa le combat dans un démêlé qu'il eut avec La Baume-Montrevel. Toute sa vaillance s'était épuisée dans l'assassinat de sa femme.

Sa sœur, Madeleine d'Ongnies, trouva un mari aussi barbare dans Charles d'Humières, marquis d'Ancre, lieutenant-général au gouvernement de Picardie. D'après les mémoires du temps, il paraît vraisemblable que la jalousie du marquis d'Humières eut pour cause la découverte d'une correspondance qui existait entre sa femme et le duc de Longueville. Il surprit plusieurs lettres, et dès lors trop certain de la perfidie, il jura d'en tirer vengeance.

Quelque temps après le duc de Longueville, faisant son entrée à Dourlens, en avril 1595, reçut un coup de mousquet dans la tête, dans une salve de mousqueterie qu'on lui faisait par honneur, et ne survécut que deux jours à cette blessure. On soupçonna le marquis d'Humières d'avoir aposté l'homme qui avait commis cet assassinat.

Mais ce qu'il y a de bien certain, c'est qu'à peu près à la même époque, ce mari, qui devenait furieux au moindre sujet de jalousie, méditait le meurtre de sa femme. Cet homme, au rapport des historiens du temps, s'était appliqué à l'anatomie, au point qu'il y était devenu très-expert: «Il me semble, dit Saint-Foix en rapportant ce trait, que la pratique de cet art décèle je ne sais quoi de barbare dans un homme dont la profession n'est pas de l'exercer.»

Charles d'Humières, pour consommer sa criminelle vengeance, s'adjoignit deux hommes qu'il connaissait propres aux coups de main de ce genre; et tous trois masqués, ils allèrent attendre leur victime dans le parc du château. La marquise s'y promenait seule ordinairement. Elle y vint à l'heure accoutumée. Les trois meurtriers se précipitèrent sur elle, la saisirent, et Charles d'Humières étrangla sa femme avec ses propres cheveux.

Ce meurtre dut le rendre d'autant plus odieux que le trouble dont son esprit était souvent agité, après ce crime horrible, ne paraissait point causé par ses remords, mais semblait être plutôt la suite de la fureur jalouse qui le lui avait fait commettre. Ses domestiques l'entendaient la nuit s'écrier, se lever, et le trouvaient, un poignard à la main, courant dans sa maison, injuriant et croyant poursuivre le fantôme de la malheureuse Madeleine d'Ongnies. Il périt peu après, le 19 juin 1595, à la reprise de Ham sur les Espagnols.

Ce marquis d'Humières avait de grands talens pour la guerre, et la plupart des historiens parlent avec éloge des services qu'il rendit à Henri IV. On ajoute même qu'il cultivait les lettres et les arts. Cette culture ne lui avait donc pas donné une forte dose de philosophie, et n'avait eu aucune prise sur son âme féroce.


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