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Chronique du crime et de l'innocence, tome 1/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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HISTOIRE
DE LA COMTESSE DE CHATEAUBRIANT,
JUGÉE ET CONDAMNÉE A MORT PAR SON MARI.

Cette histoire, dont la catastrophe ressemble beaucoup à la scène horrible qui forme le dénoûment de celle de Gabrielle de Vergy, est encore un triste monument de la jalousie et de la vengeance.

Mademoiselle de Foix, fille de la célèbre maison de ce nom, et sœur du fameux Lautrec, était d'une beauté accomplie; son esprit facile et délicat avait une tournure sérieuse et mélancolique. Dès l'âge de douze ans, elle fut recherchée en mariage par le comte de Châteaubriant, de la maison de Laval, qui la demanda à sa famille, et l'obtint.

En consentant à cette union, la jeune comtesse obéit à sa famille, mais non à son cœur. Elle n'éprouvait aucun penchant pour son mari. Celui-ci était bizarre et jaloux; dès qu'il fut en possession de sa jeune épouse, la regardant comme un trésor qu'on pouvait lui enlever, il s'enferma avec elle dans son château, en Bretagne. Il eut d'elle une fille qui ne fit que redoubler sa passion jalouse et sa surveillance tyrannique.

Un procès l'appela à la cour chevaleresque et galante de François Ier. Ce monarque, adorateur idolâtre de la beauté, réunissait à sa cour les femmes les plus remarquables par leurs attraits. Il invita le comte de Châteaubriant à y présenter la sienne, qu'il savait devoir en être un des plus beaux ornemens. Le comte, dont la prévoyante jalousie avait pressenti cette invitation, avait exigé de la comtesse qu'elle ne viendrait point à la cour, quelque instance qu'il lui fît, à moins qu'il ne lui envoyât un petit bracelet qu'elle lui avait fait de ses cheveux blonds. Il promit au roi qu'il manderait à sa femme de venir, mais qu'il n'espérait pas réussir, parce qu'elle haïssait le grand monde et chérissait la solitude.

Plusieurs seigneurs, pour faire leur cour au roi, se liguèrent contre le comte, pour le déterminer à prendre les mesures propres à satisfaire le désir du monarque. Lautrec souhaitait ardemment voir sa sœur; il entretenait une liaison galante avec une demoiselle charmante qui vivait auprès de la comtesse, et lui servait d'intendante et de compagnie. Cette demoiselle apprit à Lautrec la convention faite entre la comtesse et son mari, et lui envoya en même temps un bracelet qu'elle avait fait des cheveux de sa maîtresse, pareil à celui que le comte avait entre les mains. Lautrec n'eut pas plus tôt le secret du comte, qu'il en fit part au roi, qui engagea les seigneurs qui devaient agir auprès du comte à lui demander une lettre pour sa femme, où il lui ordonnerait de venir à la cour.

Le comte, ne pouvant soupçonner le piége qui lui était tendu, fit ce qu'on lui demanda. Mais quelle fut sa surprise, lorsque, peu de jours après, la comtesse de Châteaubriant parut devant lui. Sa colère fut d'abord sur le point d'éclater; mais Lautrec prévint cet orage en confessant au comte la supercherie dont on avait usé à son égard. Le comte fut convaincu que sa femme avait été surprise; mais cette croyance ne le rassura pas sur les craintes que lui inspirait l'air de la cour. Un noir chagrin s'empara de lui; il regarda comme inévitable, comme certain, le malheur qu'il avait toujours redouté; et, de désespoir, il se retira brusquement dans son château, abandonnant son procès et sa femme.

Alors le roi, de qui le cœur avait été profondément touché des charmes de la comtesse, mit tout en œuvre pour réussir à faire partager le violent amour qu'il éprouvait. La comtesse était naïve comme une recluse qui n'a jamais vu le monde; son amour-propre était flatté des hommages que toute la cour lui rendait: elle ne se dissimulait pas les séductions, les périls qui l'entouraient, mais elle avait la fausse confiance que sa vertu la ferait triompher de tout: elle s'abusait cruellement elle-même. D'un autre côté, son ambitieuse confidente travaillait à la pousser dans l'abîme, en lui mettant incessamment sous les yeux la fortune qui venait s'offrir à elle.

Le roi éprouva d'abord les rigueurs de la comtesse; mais, loin de se rebuter, il dispensa des grâces à ses trois frères, qu'il mit au niveau des plus grands seigneurs de France, et lui fit gagner à elle-même le grand procès peut-être injuste qui avait attiré son mari à la cour, et sur lequel reposait toute sa fortune.

Cependant le cœur de la comtesse s'engageait insensiblement, et même à son insu. Sa vertu combattit long-temps; enfin elle succomba..... Le défaut d'expérience, la faute que son mari avait faite en l'abandonnant à elle-même, sa trop grande présomption, l'avaient conduite à sa perte.

Elle ne tarda pas à être la maîtresse en titre de François Ier, et cette particularité de la cour fut bientôt connue de tout le royaume. Le comte ne tarda pas non plus à être instruit de son infortune. Son chagrin n'en devint que plus poignant encore. Il refusa avec hauteur les dignités que le monarque lui fit offrir. Plus scrupuleux que tant d'autres, il ne voulait pas qu'on pût dire qu'il donnait volontiers les mains à son déshonneur puisqu'il en acceptait le prix. Dans sa douleur, il querellait tout le monde.

Un jour qu'il faisait sentir, d'une manière mortifiante, à un officier subalterne l'infériorité de son grade, il reçut cette réponse: «Nous sommes, vous et moi, ce que le roi nous a faits.» C'est ainsi qu'en mettant en parallèle son grade avec la disgrâce du comte, il lui faisait sentir son déshonneur pour se venger de son mépris.

La comtesse se fut bientôt façonnée à sa nouvelle condition; elle fit pleuvoir les faveurs sur ceux qui s'attachaient à elle.

Le moment du repentir approchait; la guerre appela François Ier en Italie: la défaite de Pavie le fit tomber entre les mains de Charles-Quint, son rival de puissance et de gloire.

La comtesse avait perdu son protecteur: tous ses flatteurs l'abandonnèrent; elle resta en proie à toute la haine de la duchesse d'Angoulême, mère du roi, régente du royaume. Abreuvée de chagrins, elle ne vit d'autre refuge que le château de son mari. Elle lui demanda la permission d'aller se jeter à ses pieds. Il consentit à son retour. A peine entrée dans le château, il la fit conduire, sans la voir, dans un appartement tendu de noir, d'où elle n'aurait pas la liberté de sortir. Rien ne put le fléchir. Elle sollicita vainement la grâce de le voir; mais lui, se défiant de l'amour qui était au fond de son cœur, demeura inflexible. Enfin elle lui écrivit une lettre extrêmement touchante, dans laquelle, après avoir énuméré toutes les raisons qui pouvaient, sinon la justifier, mais la faire excuser, elle continuait: «Mais je ne veux chercher aucune excuse, je vous confesse mon crime, pénétrée de toute l'horreur qu'il m'inspire. Je vous ai offensé cruellement; je vous en demande pardon, en embrassant vos genoux, les yeux baignés de larmes: je suis indigne du titre de votre épouse; regardez-moi comme votre esclave, faites-moi subir le traitement le plus dur, je l'ai mérité, mais ne me confondez pas avec ces femmes nées, ce semble, pour le crime qu'elles commettent sans aucun remords, etc.»

Cette lettre n'amollit pas le cœur du comte; ce cœur était consumé par le désir de la vengeance. Plus d'une fois il aurait trempé ses mains dans le sang de la comtesse, s'il n'eût été retenu par la présence de sa fille, qui le désarmait lorsqu'il s'abandonnait aux transports de sa rage.

L'infortunée captive demanda plusieurs fois la grâce de voir, d'embrasser sa fille. Cet enfant, qui avait près de huit ans, était le portrait frappant de sa mère. Le comte se refusa à cette entrevue. Mais un jour on trompa sa vigilance; on amena l'enfant près de sa mère. Celle-ci l'arrosa de ses larmes, et ne put lui dire que ces mots entrecoupés de sanglots: «Aimez votre père, n'ayez pas pour moi de l'horreur, et ne m'imitez pas.»

Ce fut la seule entrevue qu'elle eut avec cet enfant. Le comte, d'un endroit où il ne pouvait être vu, venait voir quelquefois la comtesse; sa beauté, qui était encore dans tout son éclat, loin de l'attendrir, redoublait sa fureur, quand il pensait que tant de charmes avaient été possédés par un amant.

Deux événemens vinrent décider du sort de la comtesse. Sa fille, dont les caresses enfantines avaient le don de calmer le comte, fut atteinte d'une maladie qui la mit au tombeau. D'un autre côté, le roi François Ier recouvra sa liberté. Le comte craignit que ce prince ne rappelât la comtesse à sa cour. Rien ne retint plus sa jalouse frénésie.

Il entre dans l'appartement de sa femme avec six hommes masqués, et lui dit, l'œil en feu: «Meurs pour expier ton infamie et la mienne.—Satisfaites votre fureur, lui dit-elle avec une tendre sérénité, mais ne vous en prenez pas à moi, si l'idée de mon supplice vous persécute après ma mort. Depuis quelques jours, j'ai désespéré de vous fléchir, vous prévenez ma prière! Toute la grâce que je voulais vous demander était une prompte mort.»

Elle cessa de regarder le comte, et se livra aux ministres de sa cruauté; quatre la tinrent pendant que les deux autres lui ouvrirent les veines des bras et des jambes. Le comte eut l'inhumanité de rester présent jusqu'à ce que les veines de la comtesse fussent taries et qu'elle eût fermé les yeux.

Ce monstre de jalousie se retira ensuite en Angleterre, afin d'être à l'abri des poursuites de la maison de Foix. Plus tard il s'attacha au connétable de Montmorency, qui eut le crédit de faire taire la justice; et François Ier, entre les bras d'une nouvelle maîtresse, oublia sans peine la vengeance que lui demandait la mort de la comtesse de Châteaubriant.

Cette tragique histoire a été révoquée en doute par plusieurs historiens. D'autres auteurs l'ont donnée comme vraie. Il ne nous appartient pas de décider ce point. Les faits sont intéressans; nous avons cru ne pas devoir en priver nos lecteurs. Les détails contenus dans ce récit sont extraits d'un manuscrit tiré des archives de Châteaubriant. Ce manuscrit, écrit en latin, en lettres gothiques, avait été confié à Guyot de Pitaval, qui en donna une traduction dans ses Causes célèbres.


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